Pour en finir avec Ibn Taymiyya
Pour en finir avec Ibn Taymiyya
Si la secte
wahhabite ne faisait pas autant parler d’elle de nos jours, par l’agitation
liée à son nom et qualifiée de salafisme, il n’y aurait pas eu lieu de lui consacrer quelques lignes car elle ne
présente doctrinalement aucun contenu sérieux digne d’attention. Le wahhabisme
n’est que confusion des genres, fausse science et égarement pour les malheureux
arabes qui s’imaginent apprendre quelque chose en lisant les écrits de Mohamed
Abdelwahhâb, son fondateur[1].
En fait, s’ils croient tout comprendre, c’est en raison du littéralisme simpliste
et puéril de la ‘’pensée’’ de son auteur, qui s’adresse à des musulmans de
l’époque décadente, où la société musulmane avait cessé de produire la
civilisation et se trouvait dans le creux de la vague que remue l’Histoire. Le
monothéisme, tel qu’il est présenté par ce cheikh, est fondé sur un
non-dit : les musulmans sont soupçonnés d’être, tous ou en majorité, des
polythéistes. Sur ce postulat, l’enseignement du Cheikh sera donc justifié a
posteriori, et la mission du wahhabisme est toute trouvée : enseigner
le ‘’vrai’’ monothéisme, le sien. On énonce une prémisse fausse et en tout cas
loin d’être évidente, puis on se propose de résoudre le pseudo-problème qu’elle
implique. Ça ressemble plus à un plan de manipulation qu’à un travail sérieux
de théologien soucieux de vérité.
Aujourd’hui,
l’Arabie Saoudite, berceau et lieu d’expérimentation forcée de la ‘’doctrine’’
wahhabite, n’est pas réputée pour être le pays de la stricte doctrine du
monothéisme. Par contre, on s’accorde à reconnaître seulement son monolithisme
politique et la casuistique de ses docteurs de la loi religieuse. Se permettre
de traiter de polythéistes (takfîr) des hommes et des femmes qui se
disent musulmans, est en soi une accusation grave aux yeux du Coran et un péché
difficilement pardonnable. S’il s’agit de ‘’guider’’ spirituellement des hommes
afin de leur apprendre à progresser dans leur perception de l’unité divine,
cela ne saurait se justifier par la doctrine wahhabite. C’est une préoccupation
qui est aux antipodes de son enseignement qui porte surtout sur les fatwas
relatives à la méthode à suivre pour accomplir certaines prescriptions
religieuses.
La connaissance
de soi, celle qui permet d’accéder à la connaissance du Créateur, relève des
maitres du soufisme, que le wahhabisme déconsidère. Mais ce n’est pas la
moindre des contradictions du wahhabisme.
Le wahhabisme
enseigne que si les musulmans veulent réaliser de nouveau la ‘’grandeur’’
d’antan, ils devraient prendre comme repère historique idéal, l’époque de
Muawiya et des omeyades. Or cette époque est considérée par les savants
sunnites aussi bien que chiites que l’avènement de la dynastie omeyyade
correspond plutôt à une époque de grand malheur pour l’islam. Un hadith
important annonce que le premier homme qui changera la tradition prophétique
sera un homme de banu Oumayya.
Le wahhabisme
pour cela parle de salaf, terme arabe qui peut être traduit par ‘’les anciens’’
et qui est une notion fugace. Et quand ils sont priés de s’expliquer, ils
répondent que cela signifie les ‘’Compagnons’’ du Prophète (S). Mais, on
s’aperçoit vite que les dits compagnons font l’objet d’un tri qui élimine tous
les premiers Compagnons, les authentiques compagnons du Prophète, qui
combattirent à ses côtés à Badr, la première bataille de l’islam. Seuls sont
pris en compte ceux d’entre eux qui avaient pris parti pour Muawiyya, et ils
sont minoritaires.
Tenir les
‘’Compagnons’’ pour une réalité autonome, transhistorique, constitue une autre
contradiction. Soit on admet que la qualité de compagnon est définitivement
close avec la clôture de la prophétie, et que nous n’avons plus affaire qu’avec
le Coran, à charge pour nous de lui trouver les bonnes interprétations. Soit on
admet que le Prophète, par la grâce de Dieu, est lui-même témoin de ce que nous
faisons, et que le discours coranique est valable pour tous les temps, et alors
les musulmans devront se considérer chacun comme un compagnon du Prophète
durant ces temps où il a cessé d’être présent physiquement parmi nous. Or
plusieurs versets nous invitent à accepter ce point de vue.
Nous savons par
le Coran que la qualité de ‘’compagnon’’ ne suffit pas en elle-même pour être
sauvé : chacun sera jugé selon ses actes. Dieu fasse que nous soyons jugés
par la clémence divine qui embrasse toute chose. Retourner au ‘’temps glorieux
des compagnons’’ serait possible si, dominante au-dessus de ces compagnons, on
voyait d’abord la figure éminente du Prophète (S).
Toujours est-il
qu’il est facile de montrer que l’affection pour les compagnons est très
sélective dans le wahhabisme. En général, seuls sont loués et mentionnés comme
tels ceux qui se situent dans la ligne omeyyade, c’est-à-dire pas grand monde.
En fait, cette sélection voudrait fonder plus le nationalisme arabe que la renaissance
islamique. Les Arabes rêvent de reprendre le flambeau de l’islam, sous leur
contrôle comme au temps peu glorieux des Omeyyades. Vous ne trouverez jamais
sous la plume d’un wahhabite l’éloge de ‘Ammâr ibn Yâsir, d’Abû Dhar al-Ghifâri
pour ne m’en tenir qu’à ces deux figures de la phase héroïque de l’islam. Si au
moins cette vénération concernait tous les compagnons sans exclusion, on aurait
laissé aux croyants le soin d’avoir leur ordre de préférence ! Bien au
contraire, on y a exclu des figures essentielles de l’islam de la première
heure.
Ils ont une
prédilection pour tous ceux qui ont servi Muawiya au sujet de qui le Prophète
(S) a :’’ Le premier qui changera ma sunna sera un homme des banû
Umayya’’ (voir al-Albâni, silsilat al-ahâdith al-sahîha). Mais
passons.
Il n’existe
aucun hadith ni verset coranique associant d’une façon quelconque les
compagnons à la mission prophétique. Le Coran a été révélé au Prophète (S). Et
l’ordre d’obéir au Prophète (S) concerne tous les musulmans, au même degré, les
premiers compagnons comme les modernes et ce jusqu’à la fin de temps.
Si des
compagnons peuvent être considérés pour leur exemplarité comme des piliers
faisant partie de la solution, beaucoup d’entre eux ont fait surtout partie du
problème. Cette question ne se pose pas qu’en islam. Toutes les religions ont
du faire face à des éléments qui se sont introduits dans leurs rangs pour y
semer la confusion, brouiller le message premier, le troubler et le rendre
illisible.
A plus forte
raison, la dernière née des religions qu’est l’islam, qui pour cette raison
même a suscité beaucoup plus de réactions de la part de ces ennemis de la foi
qui ont paniqué à l’idée que cette religion puisse échapper à leurs méchanceté.
Ils ont mis toutes leurs forces pour préparer à l’islam le même destin que
celui que connurent les autres religions avant lui. En fait, cela est la règle
parce que Dieu veut soumettre les hommes aux épreuves de la foi. Se dire
croyant doit se prouver dans les épreuves, en gardant sa lucidité et en étant imperturbable
par les interférences sataniques.
D’autre part, Dieu
a promis de défendre Sa religion et de la mettre à l’abri des coups de Ses
ennemis.
Si bien que si
des dommages graves ont été causés dans les rangs des croyants, l’essence de
l’islam a été préservée.
De nos jours,
les croyants ont assez à faire avec l’effort pour renforcer leur foi, lui
donner des assises solides, écarter le doute, surmonter les tentations, pour
consacrer leur temps à défendre des positions de compagnons qui furent d’un autre
temps. Il ne s’agit pas de vouer aux gémonies certains compagnons : la
décision les concernant dépend de Dieu. Mais l’homme qui agit a besoin d’abord au
moment où il agit de son bons sens, de son savoir, de son expérience, pas de ce
qu’ont fait les autres avant lui et qui n’a été transmis que sélectivement. Les
actes des compagnons ne font partie des fondements de la religion.
Et s’il devait
garder, légitimement, quelques modèles, il devra les choisir parmi les figures
qui sont clairement des exemples, et non imiter des hommes au comportement retors
et vil, ou fauteurs de trahisons et de crimes.
Il faut dire que
la médiocrité de ‘Abdelwahhab s’explique par l’influence de celui dont il se
réclame et qui est Ibn Taymiyya (mort en 728 de l’hégire/1330). C’est de ce
dernier que nous allons parler, car il laissa beaucoup plus d’ouvrages
caractérisés par un ijtihâd formel, et surtout par ses outrances à propos de
tout[2].
Ibn Taymiyya fait partie de ces musulmans qui ne se remettaient pas du choc
causé par la chute de Bagdad entre les mains des Mongols, durant la seconde
moitié du 13ème siècle. Choc traumatisant en effet, car les
musulmans réalisaient qu’ils n’avaient plus la supériorité militaire dans le
monde, et qu’ils venaient d’être touchés au cœur même de leur puissance.
Né quelques
années après l’évènement, Ibn Taymiyya n’en a pas été le témoin ni le
contemporain conscient. Pourtant, entre la date de sa naissance et le moment où
Ibn Taymiyya réalise la gravité de l’évènement (sans en comprendre la
signification réelle), les Mongols s’étaient convertis à l’islam par un
revirement rare dans l’histoire où le vainqueur embrasse la religion du vaincu.
Pour Ibn Taymiyya et ses semblables, la disparition de l’empire abbasside tombé
entre des mains étrangères mettait fin à une longue succession de juristes
occupant des postes importants au service du ‘’khalife’’ qui était en fait un
simple roi héritant le trône de ses parents. C’était effectivement, un symbole
central qui disparaissait de la scène musulmane. Ibn Taymiyya ne pouvait pas
voir en cela autre chose qu’une porte ouverte à l’hérésie et au libertinage, ce
qui est la réaction d’un juriste borné et naïf.
Il ne réalisait
pas que cette situation exceptionnelle était autrement plus grave qu’il ne le
pensait. Elle n’avait pas besoin de ses services : on ne soigne pas un
homme malade et désespéré, avec des fatwas. On n’arrête pas un cyclone avec des
décrets. Ibn Taymiyya aurait du comprendre que même si le ‘’califat’’ avait
survécu, il n’aurait pas pu sauver la oumma ; le mal qui la rongeait
n’avait rien à voir avec les mongols. Ces derniers n’ont été que la cause
seconde qui a fait s’écrouler un édifice déjà pourri, qui a fait crever l’abcès.
La société
musulmane issue du califat venait d’atteindre son terme. Politiquement, elle
avait consisté en une suite ininterrompue de dynasties nourries par les ‘asabiya
arabes et musulmanes. C’est l’institution califale qui a causé la chute du
califat. Ce sont ces erreurs, ses trahisons, sa faiblesses. Depuis les
omeyyades, les dirigeants musulmans ont pris la mauvaise habitude de s’emparer
du pouvoir en opposant une partie des musulmans contre l’autre partie. Il n’y
eut en fait tout au long de notre histoire qu’une succession de guerres causées
par des ambitieux dans lesquels les musulmans lambda ont laissé leurs vies. Le
système de succession a eu pour moteur ce qu’Ibn Khaldûn a appelé ‘asabiya,
sectarisme. Les musulmans ont souffert beaucoup de leurs dynasties.
La chute du
califat de Bagdad fut en réalité un mal pour un bien.
Les fuqaha plus
ou moins intéressés ont servi les dynasties, parce que ces dernières le
voulaient. Ils savaient les limites de leur pouvoir et ne les outrepassaient
pas. Il ne fallait pas par exemple prendre le risque de rappeler au sultan son
devoir. Mais les rois savaient qu’une loi était nécessaire pour administrer
leurs sujets.
Ibn Taymiyya qui
appartenait à la caste des fuqaha, pensait comme ses prédécesseurs que le fiqh (droit) devait
se confondre avec l’islam et réciproquement. Il pensait que pour raviver le feu
de l’islam, il fallait ‘’appliquer’’ la loi, même si les musulmans n’avaient
plus d’état ni de facto, ni de jure.
Cette ‘’oumma’’
allait rejoindre le passé, (tilka oummatun qad khalat). Pour
la reconstruire, il eut fallu une autre ‘asabiya, ce que la société
musulmane, épuisée par les querelles, ne pouvait plus susciter. On peut aussi
dire que la ‘asabiya composée par les Mongoles était plus puissante que
celles des musulmans dirigés par des Arabes. L’édifice dont les piliers furent
édifiés par les premiers califes, devait s’écrouler en faisant un grand bruit.
Mais cela pouvait aussi faire du bien aux musulmans.
L’expérience se
renouvellera par la suite, à chaque fois que notre chute se poursuivra d’un
échelon plus bas. En 1830, Alger tombera aussi, après avoir été maintenue
artificiellement en vie par les Ottomans pendant trois siècles. La société
musulmane allait toute entière connaître l’humiliation de la colonisabilité.
Mais les
musulmans n’avaient jamais perdu la foi, al-hamdu li-Llâh, même s’ils
avaient perdu l’art et la technique de faire progresser la société avec la foi.
Même durant les 130 ans du colonialisme français le plus haineux envers
l’islam, les algériens ont su garder leur foi dans leur cœur. Même sans avoir
un corps de juristes compétents. Bien loin de sous-estimer le rôle des
juristes, je veux seulement dire que leur fonction n’avait plus lieu d’être
surtout dans la solennité ancienne, pour la bonne raison que les rois qui
distribuaient l’or à leurs courtisans étaient eux-mêmes appauvris et recevaient
leur cadeaux des puissances étrangères. Un fiqh nouveau doit voir le jour, avec
une liberté de pensée.
Nous avons gardé
notre foi en l’islam, en dépit de notre décadence, de notre faiblesse devant
notre ennemi ; cela signifie que le problème n’était pas dans la religion,
mais seulement dans notre façon de gérer notre société. Cela est l’argument
maître à opposer à ceux qui encore aujourd’hui considèrent les musulmans comme
des mécréants et que leur sang est licite. A‘ûdhu billâh.
En fait, tous
les musulmans traversaient un grave malaise qui ne consistait pas seulement
dans la disparition d’une fonction de l’État ou même de l’État tout court.
C’était l’absence d’orientation, de consolation, de solution de rechange qui
faisait encore plus mal. La littérature et les chroniques arabes de
l’époque signalent beaucoup de faits qui
sont des indices d’un malaise dans la civilisation : crimes abominables,
suicides, perte de la foi en Dieu, etc. On peut trouver quelques éléments de
cette sociologie, par exemple, dans l’ouvrage d’Ibn al-Fuwati, intitulé al-Ḥawâdith
al-jâmi‘a. Il ne s’agissait pas d’une simple aggravation de la délinquance
que les états modernes savent endiguer par des mesures policières. En ce
temps-là, les musulmans savaient encore parler de leur malaise, ou du moins ils
le pouvaient s’ils le voulaient.
Ibn Khaldûn est
le génie maghrébin qui a démonté le système de la ‘asabiya. Un pouvoir
politique pouvait prétendre à un statut de simple émir, de sultan, ou de calife
en fonction de la puissance de sa ‘asabiya. Mais Ibn Khaldûn a eu le
regret de ne pas être le témoin de la résurgence d’une ‘asabiya considérable.
Il n’y aura plus désormais que des petits rois, des petits raïs, parvenus par
la combine ou la soumission à une puissance étrangère. Il va de soi que dans
ces conditions, les fuqaha sont nuls et vils, les fonctionnaires sont pourris,
etc.
Incapables de
rassembler une asabiya locale, endogène, ils la trouvaient dans les puissances
étrangères qui faisaient d’eux des pantins.
Toute la société
est à la mesure, à l’image des gouvernants.
Ce n’est pas
avec des hommes pareils que l’on construit des civilisations.
Si cette pensée
aliénante n’avait pas pris le pas, si les musulmans avaient eu d’autres guides,
on n’en serait pas là aujourd’hui. On les a caressés dans le sens du poil, on a
flatté leurs égos, leur a murmuré qu’ils étaient supérieurs, au lieu de leur
apprendre ce qu’enseigne le Coran : le mal qui te touche vient de toi, ne
le cherche pas chez les autres. C’est le plus court chemin vers la solution.
Les nouveaux
‘’califes’’ sont usurpateurs à double titre : non seulement ils usurpent
un titre sans avoir la ‘asabiya suffisante ad hoc, mais en plus leur
envergure morale, leur autorité est loin
de les autoriser à porter un titre pareil.
On comprend
mieux ainsi que les roitelets et les ‘’présidents’’ actuels ont beau promouvoir
leur ‘’rite préféré’’, ils ne tromperont personne. Tout n’est plus que comédie,
une triste comédie. La civilisation ne s’achète pas même avec les
milliards du pétrole gaspillés.
Depuis, nous
sommes devenus les orphelins de l’histoire. Nous n’avons plus d’autre présence
que celle de l’ombre, nous sommes sortis de l’actualité temporelle, pour nous
réfugier dans un passé figé dans lequel sont gravés les noms de personnes qui
nous sont présentées comme des héros si lointains qu’on nous interdit
d’enquêter à leur propos, que par crainte déception nous ne trouvions que du
vent, que des ancêtres des criminels et des incapables qui nous ‘’gouvernent’’.
L’indépendance
et l’arrivée des traitres au pouvoir nous ont même privés des héros de la
guerre ? Nous en eûmes pourtant. Personne ne peut le nier, mais les
traitres qui nous dirigent avaient peur que la célébration de la mémoire de nos
héros, de nos martyrs ne jettent un discrédit sur eux, et les révèlent dans
leur nudité. Ils ont continué à enseigner une histoire sans noms, avec une
guerre anonyme, sans l’évocation de la souffrance des hommes et des femmes et
des enfants. Une indépendance acquise par le GPRA, par exemple. C’est à cela,
un sigle, que l’on a voulu réduire l’histoire de notre guerre d’indépendance, à
des papiers politiques. Aucun film sur nos héros, aucune célébration de leur
mémoire. Boumediene a fait enterrer à deux reprises le plus grand héros de
notre histoire récente, le colonel Amirouche qui fut plus grand que Che Guevara
et le général Giap, deux grands héros du Tiers monde, certes. Mais Giap n’était
jamais en rupture d’approvisionnement en armes et les frontières de son pays
étaient sous son contrôle. Amirouche avait pu lever une armée de 12.000 hommes,
mais il les a renvoyés ne pouvant les équiper pour en faire des soldats… car
nos ‘’politiques’’ qui menaient la vie belle aux frontières ne se souciaient
guère de faire passer des armes et des munitions aux forces de l’intérieur… Je
me rappelle qu’à ‘’l’indépendance’’ on avait affiché partout ce slogan :
‘’ un seul héros, le peuple’’. Je trouvais
cette parole si belle. Devenu adulte, je compris que ce n’était qu’une manière
détournée de nous faire oublier les noms de nos héros, pour que les traitres et
les usurpateurs n’aient pas de compte à rendre sur leurs activités durant la
guerre. On flatte le peuple… pour le tromper. C’est un exemple…
Il ne nous reste comme histoire que les mensonges que les livres qui racontent élogieusement l’histoire de la trahison, par les troupes arabes sans envergure qui avaient eux-mêmes volé les ambitions viriles de leurs frères d’armes bien décidés à mener le combat saint, contre les penchants de leur âme concupiscente. Ils avaient trahi leurs frères avant d’arriver chez nous pour contaminer avec leur cupidité et leur vilenie qui ont dégoûté, l’homme de notre fierté dont les Arabes n’ont même pas su garder le nom exact, en le surnommant Kuceyla, qui n’est rien d’autre que le nom de sa sous-tribu, les Iksilen, arabisée en Kuceyla. On nous a trompés avec 'Oqba ibn Nâfi’, de la génération des traitres et renégats de l’islam, qui avait tourné le dos à l’enseignement du Prophète (S) et qui a été renvoyé en Berbérie une seconde fois, cette fois par Yazid ibn Muawiya avec pour mission urgente de mater la révolte berbère avant qu’elle ne réussisse à établir une jonction avec la révolte de l’Imam Hossein. Avant d’arriver chez nous, les soldats ommeyyades ont tué, sur leur route, en Egypte, Mohammad le fils d’Abou Bakr al-Siddîq, et pire ils ont mis son corps dans le ventre d’un âne et l’ont incinéré avec une haine qui est propre à la mentalité de la djahiliya.
Il ne nous reste comme histoire que les mensonges que les livres qui racontent élogieusement l’histoire de la trahison, par les troupes arabes sans envergure qui avaient eux-mêmes volé les ambitions viriles de leurs frères d’armes bien décidés à mener le combat saint, contre les penchants de leur âme concupiscente. Ils avaient trahi leurs frères avant d’arriver chez nous pour contaminer avec leur cupidité et leur vilenie qui ont dégoûté, l’homme de notre fierté dont les Arabes n’ont même pas su garder le nom exact, en le surnommant Kuceyla, qui n’est rien d’autre que le nom de sa sous-tribu, les Iksilen, arabisée en Kuceyla. On nous a trompés avec 'Oqba ibn Nâfi’, de la génération des traitres et renégats de l’islam, qui avait tourné le dos à l’enseignement du Prophète (S) et qui a été renvoyé en Berbérie une seconde fois, cette fois par Yazid ibn Muawiya avec pour mission urgente de mater la révolte berbère avant qu’elle ne réussisse à établir une jonction avec la révolte de l’Imam Hossein. Avant d’arriver chez nous, les soldats ommeyyades ont tué, sur leur route, en Egypte, Mohammad le fils d’Abou Bakr al-Siddîq, et pire ils ont mis son corps dans le ventre d’un âne et l’ont incinéré avec une haine qui est propre à la mentalité de la djahiliya.
Le chef de la
tribu des Iksilen, de la confédération des Awraba, mourut pour la même cause
que celle de l’Imam Hossein, celle d’une revendication de l’islam prophétique
authentique. Sa tribu les Awraba restera fidèle à la famille du Prophète, et ce
seront les Awraba qui apporteront leur soutien à Idriss, l’éponyme de la
dynastie Idrisside et dont le fils, Idriss 2, sera le fondateur de Fès. Les
Berbères qui avaient été séduits tôt par la nouvelle religion ne voulaient pas
de sa version omeyyade. Les soldats de ‘Okba n’étaient plus les Compagnons.
Ils étaient devenus des hommes qui n’avaient d’intérêt que pour les biens
matériels, le butin : l’or et les femmes.
Les arabes
étaient si pressés de faire fortune que leur ruée vers l’ouest (le Maghreb)
n’avait rien à envier en cruauté, violence et barbarie à celle du Far West
américain. Ils étaient motivés par une cupidité telle qu’en cours de route, ils
ont oublié la raison même de leur sortie de la péninsule arabique :
apporter l’islam dans sa meilleure définition. Le message céleste est tombé de
leur monture, oublié sur les essarts…
C’est ce qui explique qu’aujourd’hui encore,
la seule image qu’ils ont gardé de la
‘’grandeur’’ de l’islam est celle de la conquête (futuhât) qui fut toute
entière contraire à la Loi musulmane. Ce qui explique ce genre de mouvement où
l’on fait croire aux gens qu’il est possible de vaincre le monde entier avec
des armes que l’on est incapable de fabriquer.
C’est ce qui
explique aussi que les Arabes ne sont pas encore devenus musulmans, alors que
les peuples qu’ils ont conquis le sont devenus, et le comprennent mieux qu’eux.
Malheureusement,
ce rêve débile de conquête d’un monde énormément plus fort que soi, a contaminé
pas mal de peuples non arabes rêvant eux-aussi de partager un butin aussi
difficile à prendre que la peau de l’ours. Rêve vain de s’emparer d’un trésor
inaccessible.
Dieu n’a pas
envoyé le Prophète (S) ni enseigné l’islam pour qu’il devienne une religion
entre les mains de misérables ambitieux qui rêvent de tyranniser et de
terroriser le monde.
En Afrique du
Nord, nous n’avons pas pu nous organiser ; les omeyyades et leurs suivants
les abbassides, ne nous ont pas donné de répit pour créer une nouvelle ambiance
pouvant libérer les énergies positives qui nous auraient permis d’illustrer par
des actes notre aspiration profonde.
On comprend
pourquoi, l’islam ne s’est pas répandu aussi rapidement qu’on le dit, ni même
sans violence. Dès lors qu’ils ont été démasqués pour de simples conquérants,
les arabes ont en fait été bloqués dans leur avance par les berbères qui furent
conquis par l’islam, mais pas convaincus par ceux qui prétendaient le leur
apporter. Ils ont éliminé ‘Oqba ibn Nâfi et ils ont mis au pouvoir un des leurs
que les sources appellent Koceyla et qui les a dirigés pendant cinq ans en
faisant de Kairouan sa capitale.
Les conquérants
arabes sont revenus plus tard avec des forces considérables. Ils ont fini par avoir
le dessus et ont imposé une forme d’islam portant des œillères omeyyades. Ils
ont contaminé les berbères avec leur mentalité dénuée de véritable ambition
islamique. Nous sommes restés attachés, des siècles durant, à un islam dévalué,
un islam où des hommes médiocres nous ont été présentés avec une fausse auréole
de sainteté, un islam en version politique, qui protège les usurpateurs.
Parce que ces
errements des premiers temps vont laisser des traces indélébiles. Parce que
pour les effacer, il eut fallu une volonté immense que les Arabes étaient
incapables d’avoir. Toute l’histoire ultérieure s’en ressentira. Les peuples
islamisés vont avoir pour première priorité de se débarrasser des dynasties
arabes installées chez eux, tout en restant musulmans eux-mêmes. Mais ils ne
feront que remplacer les arabes, sans se débarrasser eux-mêmes des facteurs
négatifs hérités d’eux. Désormais, le pouvoir musulman sera frappé de ces
habitudes arabes, de ruse, de terreur. Avec quelques sursauts périodiques quand
même révélant l’existence de mouvements informes et profondément ancrés dans la
société et se manifestant de temps en temps pour se faire connaitre. Il y a eu
entre autres le mouvement fatimide, le soutien inattendu aux Idrissides, et le
fait que les deux seuls dynasties musulmanes désignées par leur programme
plutôt que par les noms de leur fondateurs sont des dynasties berbères :
les almohades et les almoravides.
Et le
déferlement des brutes arriérées des Banû Hilâl a fini de nous assommer. Il a
fallu aux berbères trois siècles pour les domestiquer, refréner leur tendances
innées au brigandage. A la fin, nous étions trop fatigués, usés par des siècles
de vains espoirs, tout juste bons pour tomber dans le piège de la colonisation
occidentale. C’est cela l’origine de notre colonisabilité : l’épuisement
causé par des siècles d’effort pour tenter d’assimiler un peuple… inassimilable,
après de siècles où nous avons usé nos énergies à tenter d’imposer des ‘asabiya,
de les installer en espérant qu’elles gouverneraient pour des millénaires..
On peut penser
que l’activité intense que déploya Ibn Taymiyya pour la rédaction de fatwas
répondait dans son esprit à la nécessité de combler le vide juridique, que ‘’le
gouvernement intérimaire’’ installé en Egypte, après la chute du califat de
Bagdad (1258), ne pouvait pas assumer.
L’ambiance
régnante ne permettait pas loin s’en faut de remédier à la situation. (Le seul pouvoir politique capable d’agir
était celui des Mongols.) Il n’y avait plus de pouvoir pour décider au nom de
tous les musulmans. Ceux de l’Orient étaient désemparés, et beaucoup pensaient
que la chute de Bagdad était un signe de la fin du monde, car ils étaient
incapables de contenir et de repousser les envahisseurs mongols.
En fait, s’il
n’y eut pas de puissance politique capable de relancer l’unité musulmane, c’est
parce que la corruption avait rongé et épuisé les énergies en Orient, alors
qu’au Maghreb, on assista deux siècles auparavant à l’émergence d’une puissante
dynastie réformée, celle des Almohades, qui fut apte à repousser les attaques
venues de l’Occident européen, reportant de trois siècles la perte de
l’Andalousie.
Damas et le
Caire, anciennes capitales d’empires musulmans étaient redevenues les nouveaux
centres du pouvoir musulman, mais sans jamais égaler l’importance qu’eut
Bagdad.
C’était donc un
problème de civilisation, et ce problème ne relève pas du fiqh classique qui
n’avait même pas le droit de regard sur les actes des gouvernants. Un problème
de civilisation a besoin de sociologues qui examinent la société en tant que
formant un corps, de spécialistes de l’anthropologie, pas de juristes. Une
société qui souffre ne se soigne pas par une série de décrets. C’est tout
l’homme qu’il faut redéfinir avant de prescrire un remède efficace au malade.
En un mot, Ibn Taymiyya n’avait pas la compétence pour se mêler de près ou de
loin. Mais l’ignorance ose tout.
Paradoxalement,
c’est dans cette situation ubuesque qu’Ibn Taymiyya s’emploiera
à rédiger son œuvre de mufti émettant des avis juridiques sur tous les
sujets, les plus éloignés de la réalité vécue au quotidien, et en totale
rupture avec le réel ; dépourvu du sens historique qui seul permet
d’interpréter les évènements de façon bénéfique, Ibn Taymiyya fait des
raisonnements dans l’abstrait, comme si rien ne s’était passé, et comme si
l’empire était encore debout. Il
travaille pour l’hypothèse absurde où l’empire n’allait pas tarder à renaître
de ses cendres pour poursuivre son chemin avec les mêmes hommes. Il s’offre le
luxe de rédiger des fatwas condamnant des idées n’ayant plus cours, sans
prégnance sociale, dans une société aux abois. Mais il espère que son action
servira plus tard à revenir plus facilement au cadre régissant la société
musulmane avant l’invasion mongole. Ibn Taymiyya ne se demande pas si la chute
de Bagdad ne présentait pas aux musulmans l’occasion de réviser les principes
et d’entamer un changement de cap. Ses prescriptions sont en général orientées
dans le sens d’un retour au statu quo ante.
Sur ce point, on
ne peut pas se tromper : Ibn Taymiyya a compris que les progrès de la
pensée musulmane au Maghreb et en Andalousie dérangeaient énormément, d’autant
plus que deux penseurs venus de ce Maghreb connaissaient déjà en Orient un
succès immense : Ibn Arabî et Ibn Sab‘în, mais surtout le premier. Ibn
Taymiyya eut, lors de son séjour à Alexandrie, l’occasion de s’entretenir avec
les représentants de ces deux écoles de pensée.
La prise de
Bagdad par les Mongols, puis des siècles plus tard, l’occupation de l’Algérie
par la France, et récemment l’occupation de l’Irak par les USA ne sont que des
moments d’épreuve destinés à purger les musulmans de leurs illusions
passéistes. On cherche à les amener à lâcher l’ombre et à voir la lumière, à
voir l’essentiel, ce qui a compté dans leur passé, la cause véritable de leur
chute. Il y avait beaucoup à apprendre de cette expérience coloniale. Et de
toute façon, c’est Dieu qui décide des épreuves à infliger. Nous devions
apprendre qu’il ne faut pas regretter la fin des empires, que la puissance
réelle n’est pas dans les possessions matérielles, ni dans le montant des taxes
prélevées, ni même dans le sang versé, mais uniquement dans la fidélité à
l’enseignement originel. Les musulmans continuent de trainer trop de reliques,
trop de traces de leur ‘’grandeur’’ passée dont l’évocation leur fait mal. Les
écrits nombreux, la production écrite des auteurs de la civilisation musulmane
fut si féconde que malgré tous les incendies, tous les autodafés, nous avons
encore tant de titres d’ouvrages, tant de manuscrits que nous ne réalisons pas
encore tout à fait que tout cela ne regarde plus que ceux qui les ont écrits,
que nous sommes incapables de les comprendre, de nous en approprier le contenu.
Nous ne savons pas quoi faire pour que ce lourd et encombrant héritage nous
enrichisse au lieu de nous inhiber. Nous sommes morts depuis longtemps, mais
nous ne le savons pas encore. Nous devons créer notre monde avec nos propres
mains, et ne pas attendre qu’on ressuscite pour nous l’ancien monde.
Malheureusement, Ibn Taymiyya fut de ceux qui ont entretenu cette illusion
qu’il est possible de faire marche arrière dans l’histoire, de retourner à un
modèle qui n’a jamais existé en réalité mais que les esprits usés et
impuissants des 13ème et 14ème siècles ont fini par
concevoir comme une fantaisie durable entretenue par des mentalités de vaincus.
Depuis ce temps-là, on nous promet l’impossible Nahda qui ne viendra
jamais car on ne se réveille pas à la réalité quand on pose sa tête sur un
oreiller bourré d’illusions. Le maître mot de sa pensée est le salaf.
Notre religion, celle dont nous sommes fiers sans toujours savoir pourquoi,
nous parle avec insistance de l’imitation du Prophète (S) ; elle nous
recommande l’effort intellectuel, l’ijtihâd pour devenir meilleur. Le Coran
s’adresse à nous les croyants : ‘’ O vous qui croyez !!! ‘’.
Il nous interpelle comme il interpela les premiers croyants. C’est à nous que
s’adresse le Coran ; et Ibn Taymiyya ne cesse pas de nous aiguiller vers
le salaf[3].
Je ne sais pas ce que recouvre ce mot, mais il a une odeur d’innovation, une
sorte de mot trompeur, un mot qui n’a reçu aucune bénédiction divine ou
prophétique, qui rappelle plutôt les arguments des polythéistes :
« Nous adorons les idoles de nos ancêtres, et nous continuerons à suivre
leurs traces… ». Si par salaf, Ibn Taymiyya veut parler de
l’ensemble de ceux qu’il a bien notés lui-même, nous lui rétorquerons qu’il y
eut aussi tant d’hommes du salaf, qui s’empoignaient souvent à mort,
bien qu’ils fussent tous des musulmans, que tant d’arabes convertis aux
premiers temps ont renié leur foi, ou se sont montré faibles, etc.
Or nous SOMMES
aujourd’hui les Compagnons du Prophète, les compagnons de son absence. En tout
cas, c’est ce que l’islam attend de nous. Nous continuons à mener son combat. Nous
ne déméritons pas de ce point de vue. L’important, c’est le Message. Ceux qui
le soutiennent se succèdent, chacun remplaçant la position défensive de celui
qui l’y a précédé.
La grandeur de
chaque génération doit être recherchée dans le présent personnel, dans les
aspirations des vivants, pas dans un passé indéfini, dans les cœurs et pas dans
les histoires.
Wa lakum fî
rasûlillâh uswatun hasana.
La grandeur doit
être recherchée dan l’imitation de la Personne de celui qui l’a incarnée, et
dans son enseignement. Ne suivons pas les sahabas, devenons-nous-mêmes des
sahabas du Prophète, et non pas les derniers maillons d’une chaine de
compagnons de compagnons de compagnons, etc.
Pourquoi Ibn
Taymiyya et le wahabisme cherchent-t-ils donc à nous imposer une grille de
lecture qui est tout à fait contraire à la démarche scientifique authentique
qui consiste à tout passer au crible de l’intelligence ? Pourquoi cherchent-t-ils
à nous imposer des raccourcis suspects ? Il craint que par notre seule
démarche, nous fassions fausse route. Qui l’a nommé à cette fonction de gardien
de la foi, de censeur et d’inquisiteur ?
Qu’est-ce qui a
motivé Ibn Taymiyya pour mettre le salaf au centre de sa pensée ?
Sûrement, la solution de facilité. Effrayé par la perspective d’un avenir trop
incertain, il s’est laissé happer et dévorer par l’illusion passéiste, douce et
soporifique. Il remporte des victoires sur le papier, faute de les gagner sur
le champ de bataille.
Dans ses écrits,
Ibn Taymiyya ne prend pas la peine de construire son exposé autour d’un plan
précis, ni de définir ce qu’il a l’intention de soutenir, ni la méthode qu’il
compte utiliser à cette fin, ni à qui il s’adresse, et surtout avec quelle
puissance il compte faire exécuter ses sentences, car légiférer implique un pouvoir
exécutif, une armée et une police. Molki nadârad ân-ke sepah nadârad,
dit Rûmî : N’a pas de royaume celui qui n’a pas d’armée ! Son œuvre
fut destinée aux esprits morts. C’est pourquoi seuls les esprits morts et
semeurs de mort le tiennent pour modèle.
Il a hâte
d’arriver à son but : ramener son lecteur au mirage du désert salafiste,
et espérer lui transmettre une dose de son optimisme artificiel, le garder bien
au chaud pour l’empêcher de renaitre avec des idées novatrices qui remettraient
en question l’héritage des empires qui ne représentent tout au plus qu’une
phase, d’ailleurs ô combien regrettable de notre histoire. Reprendre tout
depuis le début, exposer ses motifs, mener un exposé scientifique, s’obliger à
définir le vocabulaire, la méthode suivie, tout cela risquait de le décourager,
de le faire renoncer à la tâche.
Il ne justifiera
jamais l’emploi excessif de cette référence au salaf, qui n’a aucun
appui dans le Coran ni dans la tradition, alors qu’il n’hésite pas lui-même à
qualifier de bid‘a, innovation blâmable, tout ce qui dépasse son
entendement. D’ailleurs la racine slf est en consonance avec la raine srf
qui désigne l’excès, l’outrance, isrâf. Les Arabes sont condamnés dans
le Coran pour être des musrifûn, des outranciers.
S’il ne peut réfuter
l’idée, qu’importe ! Il réfute l’homme promoteur ou partisan de cette
idée. Par paresse, il ne prend pas la peine d’expliquer l’idée telle qu’elle
est exposée par ses auteurs dans leurs écrits. Il se contente de la résumer, de
la parodier, de la tronquer ou de l’exposer hors de son contexte.
En revanche,
quand il veut défendre un homme qui a sa préférence, il s’emploie à le
rattacher par des subterfuges à des idées excellentes (à ses yeux) auxquelles
il finit par l’associer, avant de l’encenser en accolant son nom au mot
magique : le salaf.
Ibn Taymiyya
n’est sûrement pas un penseur au sens strict du mot, mais un manipulateur.
On ne retrouve
pas chez lui la démarche scientifique ou rigoureuse que l’on observe chez la
plupart des penseurs musulmans qui l’ont précédé, comme les théologiens, les
philosophes, les maitres spirituels. Al-Ghazzâli (mort en 1111), par exemple
expose honnêtement et fidèlement les doctrines et opinions des philosophes
avant de les réfuter ou d’en montrer les faiblesses, en leur opposant des
arguments rationnels et en évitant l’invective et l’anathème (takfir).
Il ne viendrait
à l’idée de personne de prononcer le takfir de Platon, d’Aristote, de
Plotin ou de Ptolémée. Pourtant Ibn Taymiyya considère tous les penseurs qui
n’ont pas sa bénédiction comme des kâfirs. Il ne voit pas la pensée comme un effort des
hommes, d’un effort soutenu et poursuivi par des générations d’hommes pour
faire aboutir à quelque chose qui rapproche de la vérité. Les premiers
théologiens de l’islam ont dit aussi beaucoup de choses que nous qualifierons
de bêtises aujourd’hui, mais ils avaient eu le mérite de poser les fondations
d’une science nouvelle. Plutôt que de les déclarer hérétiques, il faut saluer
leur mérite de pionniers et relever bien entendu leur faiblesse. Les
mutazilites ont fait surement des erreurs de jugement, mais aujourd’hui tout le
monde s’accorde à leur reconnaître le mérite d’avoir soulevé en premier
certaines des graves questions théologiques et philosophiques.
Ibn Taymiyya
manque dramatiquement du sens historique et s’imagine que tous les évènements
relèvent de la justice des hommes. Il ne tient pas compte du hadith sunnite
selon lequel si le chercheur qui trouve reçoit une double récompense, le
chercheur qui se trompe a aussi droit à une récompense. Pour lui, toute idée
exposée, sauf la sienne, condamne son auteur à la malédiction. Il se moque de
savoir que la science progresse par à-coups, par corrections successives.
Je parle de lui
en ces termes, parce qu’il n’a pas hésité lui-même à utiliser un vocabulaire
diffamant[4]
à l’égard d’Ibn Tûmart (mort en 1130), un homme de chez nous, fils de la terre
de Berbérie, qui fut un esprit éclairé ayant réussi à injecter une bonne dose
de rationalité dans la théologie musulmane qui se mourrait en Orient, comme
nous allons essayer de le montrer pour ceux qui ne le connaissent pas.
La dynastie
Almohade qui se fonda sur la base de son enseignement a engendré Ibn Rochd et
Ibn ‘Arabî. Ces deux seuls noms auxquels nous pouvons ajouter ceux d’Ibn Tofayl,
d’Ibn Sab’în, de Sidi Abû Madyan, et même d’Ibn Hazm avant eux, devraient
suffire à remettre Ibn Taymiyya à sa place et à l’envoyer chercher ailleurs une
pâture pour nourrir sa méchanceté viscérale.
Quand Ibn
Taymiyya ose s’attaquer à Ibn Tûmart, il commence par essayer de déstabiliser
son ‘’ennemi’’ en rapportant des commérages ayant eu cours à son sujet. Ibn
Taymiyya les rapporte sans émettre le moindre doute sur leur authenticité.
Normal ; il ne leur donnerait pas du crédit s’il ne les mettait pas en tête
de son exposé. Pourtant, de nos jours, il n’échapperait pas à une accusation de
diffamation[5]. Mais
l’arbre ne saurait cacher la forêt, même si on attribuait une part de vérité à
ses mensonges, la personnalité d’Ibn Tûmart n’en serait point atteinte, car il
reste indubitablement un penseur d’une grande étoffe, d’une haute facture.
Le fondateur du
mouvement almohade fait partie des trois ou quatre grands penseurs qui font la
fierté du Maghreb et de l’Andalousie. On peut même le considérer comme leur
chef de file, leur leader, car c’est son œuvre qui a rendu possible l’avènement
des deux autres, Ibn Rochd et Ibn Arabî, ainsi que la compréhension de leurs
œuvres respectives.
Revenu de son
voyage en Orient où il avait rencontré, dit-on, le grand réformateur khorassanien
abû Hâmid al-Ghazzâli, Ibn Tûmart ramène dans ses bagages quelques notes qui
vont lui permettre de diagnostiquer le mal dont souffre la société musulmane.
Il est persuadé que l’Orient est allé trop loin dans l’égarement et que seul
des occidentaux musulmans non infectés par ce mal seront à même de lui trouver
un remède. Son diagnostic est clair : il faut aller plus loin que
Ghazzâli. Il ne s’agit plus seulement d’apporter une rupture dans
l’épistémologie (ihyâ ‘ulûm al-dîn), en revivifiant les sciences de la
religion, (ce qui est aussi indispensable) mais de bouleverser, de
révolutionner la façon dont la religion était vécue socialement. Autrement dit,
le problème était aussi idéologique : instaurer une ambiance nouvelle au
sein de la société vis-à-vis de ce que l’on croit être la connaissance
religieuse, la perception du dîn, libérer le dîn pour le rendre
aux croyants. Le savoir des musulmans allait sans cesse à la dérive. Les fuqaha
ne se préoccupaient pas de chercher à connaître la vérité, mais seulement à
faire triompher leur propre madhhab respectif. Il n’y avait plus de
science vivante et créatrice qu’on appelle ijtihâd, mais seulement une
reproduction par imitation d’un savoir ancestral dont on ne se souciait plus de
vérifier la solidité des fondements, considérant qu’ils sont acquis une bonne
fois pour toutes. Il ne faudrait pas s’étonner que parmi les griefs qu’adresse
Ibn Taymiyya à Ibn Tûmart, figure celui qui l’obsède le plus, et qui concerne
l’entretien du mythe du salaf : Ibn Tûmart avait supprimé la
mention des noms des quatre premiers califes dans le sermon de la prière du
vendredi !! Sacrilège ! Pourtant cela aurait fait surement plaisir
aux quatre califes d’apprendre qu’enfin la prière collective a été remise en
conformité à la tradition prophétique. Mais Ibn Taymiyya entretient une autre
visée, sous le couvert de la défense des califes… Il ne cherche pas à faire
vivre la tradition du Prophète (S), il lutte pour perpétuer l’ambiance
abbasside !
Ibn Tûmart a une
intuition géniale qu’il formule ainsi : il faut ré-enseigner aux musulmans
le monothéisme, rendre à l’islam son unité intrinsèque qui est d’être le reflet
de l’unité divine. C’est cela le sens premier que vise à faire connaître son
mouvement appelé al-muwahhidûn (les unitaristes). Contrairement à ce que
comprend Ibn Taymiyya, il ne cherche pas à enseigner ou à rappeler qu’en islam
Dieu est unique, – c’est une évidence – mais à réapprendre à le penser sans se
heurter au butoir toujours persistant de la contradiction existant entre les
positions acharite et mutazilite qui sont défendables toutes les deux, mais que
l’on n’arrivait pas à réduire à l’unité. Ibn Taymiyya obsédé par la recherche
du biais facile pour attaquer et dénigrer n’y comprit rien. A vrai dire, il
faisait partie lui-même de cette partie des musulmans qui avaient besoin de
mettre leur savoir à l’heure, de l’extirper de l’état où il s’était figé depuis
trois siècles, se montrant incapable d’aller plus loin que la dichotomie
théologique mutazilite-acharite. Ibn Taymiyya ne pouvait pas admettre cela à
cause de plusieurs préjugés, dont le premier, le mépris des non-arabes, qu’il
manifeste lui-même en parlant ‘’des pauvres berbères des montagnes comme
d’hommes ignares’’ qu’Ibn Tûmart serait venu tromper en abusant de leur
ignorance !!! A-t-il jamais mis les pieds au Maghreb ? N’avait-il pas
rencontré des hommes du Maghreb au Caire et à Damas, qui se trouvaient là
justement pour enseigner la doctrine du Shaykh al-Akbar, Ibn Arabî ?
Pensait-il vraiment par un préjugé antiberbère, que les maghrébins étaient des
ignorants ? Sans chauvinisme de ma part, je ne doute pas qu’en ce
temps-là, le Maghreb avait qualitativement plus de savants que l’Orient[6].
Ibn Tûmart
enseigne des idées qui dépassent en portée celle du discours juridique du
premier degré dont l’essence même est de diviser. La sagesse, la philosophie,
la sociologie sont des sciences qui unifient, alors que le fiqh est une science
normative, qui entraine la division, la discrimination et qui oppose forcément
des hommes à d’autres. C’est une vieille querelle de préséance entre les fuqaha
qui étudient les applications pratiques de la sharia et les philosophes, les
maitres spirituels et les théologiens qui étudient les sciences portant sur le
fond des choses. Les fuqaha ont toujours jalousé ces derniers, alors
qu’ils savent bien que la noblesse d’une science dépend de la noblesse de son
objet. Celui qui médite sur les choses divines est quand même plus élevé en
rang que celui qui étudie les conditions du partage de l’héritage et les parts
qui reviennent aux uns et aux autres, même si chacun a son mérite.
Ibn Tûmart était
bien au courant des difficultés que présentaient les écoles théologiques
musulmanes. Il ne s’est pas rendu en Orient pour apprendre le droit, devenir un
faqih au sens restreint. Il était suffisamment formé dans les écoles
maghrébines qui jouissaient déjà d’un grand prestige. Il était parti pour
prendre le pouls de cet Orient malade de ses excès.
Plutôt que
d’œuvrer à perpétuer la haine que se vouent ces deux tendances globales de la
théologie musulmane, Ibn Tûmart introduit une idée fondamentale qui vise à
surmonter et à résoudre la plus grande aporie de la théologie musulmane.
Il fut le
premier à parler de l’être absolu à propos de Dieu. Ibn Sinâ ne fut pas loin de
le faire... mais c’eut été trop tôt. D’ailleurs dans sa critique, Ibn Taymiyya
ne manque pas d’établir un lien entre les deux hommes, qu’il associe avec sa bête noire et sa cible préférée, Ibn
Sab‘în.
Pour Ibn Tûmart,
poser cette instance permet de relativiser la gravité de l’opposition
transcendance - immanence. Cela sera mis au clair par Ibn Arabî.
Ibn Taymiyya
n’hésita cependant pas comme à l’accoutumée à s’en prendre à cette idée selon
ce qu’il en comprenait, c'est-à-dire pas grand-chose. Il aurait dû se contenter
de faire du droit relevant des cas habituels que soulève son école juridique,
le hanbalisme, plutôt que de se mêler de casuistique philosophique. Mais
n’oublions pas qu’il agit, guidé par le seul souci d’empêcher l’émergence d’une
pensée scientifique libre dans la société musulmane. La liberté lui faisait
peur, comme à beaucoup d’autres. C’est un signe de faiblesse de la foi que de
ne pas faire confiance aux hommes, à nos semblables. Le gouvernement almohade a
donné l’exemple d’un grand courage en rendant possible l’avènement de l’œuvre
et de la pensée d’Ibn Rochd. Ibn Taymiyya aurait dû noter que ce fut chez nous
les Berbères, que sont nées les deux seules dynasties musulmanes ayant des noms
faisant référence à un programme d’idées : les Almoravides (al-murâbitûn)
et les Almohades (al-muwahhidûn). Les dynasties orientales portent
toujours les noms de leurs fondateurs, omeyyades, abbassides, seldjoukides, bouyides,
etc.
Mais passons.
L’Etre absolu
n’est pas l’être général des philosophes (al-wujûd al-‘âmm) c’est-à-dire
l’être en tant que mot. Il est le degré de l’Essence divine en tant qu’elle est
envisagée en Elle-même, sans relations, Dieu en tant qu’indépendant du monde.
Ce degré correspond chez Ibn Arabî, à la ahadiyya, c'est-à-dire le niveau
correspondant au nom divin al-Ahad que l’on trouve dans le Coran. Tous
les musulmans savent d’instinct, dirais-je, que le Nom Ahad n’admet pas
la relation de servitude (‘ubûdiyya) puisque de tout temps personne ne
s’est appelé ‘abd al-Ahad. Par contre, nous avons le nom ‘abd
al-Wâhid, parce que la wâhidiyya correspond à l’unité divine
multiple, admettant les relations qu’impliquent les Noms, attributs et actes de
Dieu qui eux sont très nombreux. Par exemple, quand nous disons que Dieu est
Connaissant, cela implique une science, un être ayant la science et un objet
connu. Quand nous parlons du Créateur, nous impliquons des créatures, l’acte de
création, etc.
Dans le cas de
la ahadiyya, il va de soi que les relations (nisab) s’annulent, et que les noms
divins sont niés parce qu’à ce niveau, Dieu est envisagé en tant qu’Essence
inconnaissable, et à propos de Lui, on ne peut dire qu’une seule chose :
nous ne savons rien, seul Dieu Se connaît. On ne nie pas la réalité des Noms et
Attributs divins. Ils s’occultent d’eux-mêmes quand seule l’Essence sacrosainte
est envisagée. Huwa al-Zâhir wal-bâtinu. Il est l’Apparent et Il est l’Occulte.
Ainsi Dieu se
donne à connaître, d’une part, et Il demeure inconnaissable en même temps.
Si dans le
discours théologique, on confond ces deux points de vue, il va de soi que l’on
proférera beaucoup de non-sens. Le monde dans lequel nous vivons est un monde
où se manifestent les noms et qualités divines. Nul ne peut nier leur fait
d’être des réalités.
Ainsi avec
l’idée d’Etre absolu, on pousse à son extrême la transcendance divine (tanzîh)
chère aux mutazilites, et avec la wâhidiyya on affirme l’immanence divine,
indispensable degré pour situer le lieu de réalité du domaine des Noms,
attributs et actes divins.
L’Etre absolu
n’a pas le même contenu chez tous les penseurs andalous-maghrébins, chez Abû
Madyan, Ibn Arabî et Ibn Sab‘în, mais ayant été prononcé par Ibn Tûmart, il a
ouvert le champ d’investigation aux esprits libres de notre contrée. Il est
certain qu’en qualifiant son mouvement de muwahhid, Ibn Tûmart avait
bien en vue quelque chose de plus grandiose que ce qu’en a compris Ibn
Taymiyya.
Cet unitarisme
va féconder la pensée maghrébine qui engendrera la doctrine de l’unité de l’âme
(monopsychisme) chez Ibn Rochd[7]
(Averroès), la doctrine de l’unité de l’être (wahdat al-wujûd) chez Ibn
Arabî, la doctrine de l’unité absolue (al-wahda al-mutlaqa) chez Ibn
Sab‘în. En politique, l’unitarisme a réalisé quelques succès comme celui de
rassembler les maghrébins pour assurer le maintien de l’Andalousie, avant de
s’achever dans une certaine forme de monolithisme. Car la pression des ulémas
conservateurs et apeurés finira par faire retomber la tension progressiste, et
retourner au malékisme dans les applications du droit (furû’). C’était
le début de la fin de la puissance musulmane au Maghreb, dont les signes seront
la perte de l’Andalousie, les débuts de l’occupation espagnole et la soumission
des pays maghrébins au colonialisme français.
Si Ibn Taymiyya
avait de la suite dans les idées, il aurait conclu que la catastrophe mongole
aurait pu être évitée si les orientaux avaient prêté l’oreille aux ordonnances
ghazzâliennes.
On s’attendrait
à ce qu’Ibn Taymiyya aborde le sujet en savant pour soulever quelques critiques
sur tel ou tel point de l’ouvrage d’Ibn Tûmart. Eh bien, non ! : Comme
à son habitude, il recourt à son langage de l’invective, de la menace et de
l’excommunication (takfîr). Il se contente de citer des versets
coraniques qui appuient ses dires, sans se douter que ceux qu’il critique sont
aussi des musulmans et font aussi un large usage des références coraniques. Et
bien entendu, il recommande à ses lecteurs de s’en tenir aux bonnes pratiques
du salaf dont il se considère le porte-parole, et dont on n’a
jamais compris la composante, ce terme étant dépourvu de pertinence
scientifique, et n’étant ni une notion coranique, ni un concept clairement
établi.
Avec Ibn Tûmart,
va poindre l’aube d’une nouvelle pensée musulmane, grâce sans doute au fait que
le Maghreb avait pris ses distances à l’égard des faux conflits qui avaient
déchiré les orientaux, et auxquels al-Ghazzâli avait tenté de mettre fin. Cette
nouvelle pensée musulmane trouvera son accomplissement parfait dans l’œuvre
d’Ibn Arabî. Là aussi, Ibn Taymiyya ne manquera pas l’occasion de se taire, préférant
débiter des jugements sur des idées qui dépassent son savoir. Je dirais sans
hésitation, que si rien ne va plus dans la société musulmane, c’est parce qu’on
tarde à tourner définitivement la page du salafisme et à adopter des idées
nouvelles, notamment celles qu’Ibn Taymiyya a mises à l’index.
La démesure de
ses jugements n’a d’égale que leur inapplicabilité. Ses ouvrages constituent
une sorte de musée des fatwas d’un désespéré. Ils sont le produit d’une pensée
réactionnaire par définition. S’il eut disposé du pouvoir, il aurait envoyé
tout le monde au bûcher, comme cela advint malheureusement pour tant
d’innocentes personnes dans le Christianisme, pour le seul péché de vouloir
comprendre, au sujet de la religion, un peu plus que ce qu’en disait le curé du
village.
La pensée
musulmane est restée encadrée, coincée plutôt, dans les limites étroites qui
lui ont été définies par ledit salaf
(puisqu’il faut appeler salaf tout ce qui bloque l’évolution de
la pensée) dont la fonction principale est de canaliser les esprits vers
l’impasse des Anciens. Cette tentative d’infantilisation de la pensée musulmane
a longtemps réussi en se fondant sur des non-dits, des interdits implicites,
des prétextes absurdes et une ambiance de peur, de terrorisme : il faut
respecter les ‘’anciens’’, ne rien dire à leur sujet. Il ne faut pas soulever
le couvercle du puits, khelli lbîr be-ghtâh. Comment, dans ces
conditions, pourrions-nous changer notre
état ? C’est nous qui sommes devenus des puits et c’est sur nous-mêmes que
nous mettons le couvercle. Nous nous condamnons à ne rien savoir, à ne rien
dire… pour une raison que nous ne comprendrons jamais. Nous vivons dans la peur
depuis des siècles… peur de ne pas caresser notre interlocuteur dans le sens du
poil, de dire quelque chose qui va déplaire à l’inquisiteur inconnu qui se
dissimule derrière une barbe ou un turban.
Ibn Taymiyya
rêvait du rétablissement de la dynastie
abbasside... pour que tout rentre dans l’ordre, son ordre à lui. Son idéal
était un retour au passé. Un passé auréolé d’ombres qu’il appelle le salaf,
un composé hétéroclite de sahâba, de tâbi‘in, de tâb’i tâbi‘in,
et d’autres entités qui, si elles eurent leurs heures de gloire, pour certaines
d’entre elles, n’en demeurent pas moins accessoires pour fonder une pensée
islamique dynamique capable de nous orienter par pluie et par beau temps. Des
ombres qui se dressent pour faire peur, pour empêcher l’intelligence de dire
son mot, et que l’on nous a imposées comme des critères de la foi. Evoquer ces
ombres sans faire suivre leurs noms de la formule radiya Allah ‘anhu est
un péché.
Nous ne disons
pas que la pensée a cessé de progresser ou encore que cela ne servira à rien de
faire l’effort après Ibn Tûmart, Ibn Arabî, Ibn Rochd et les autres. Nous ne
disons pas qu’Ibn Taymiyya ne fut pas un musulman encore moins qu’il fut un
antimusulman. Il s’est tout simplement trompé dans ses jugements, à partir du
moment où sa logique s’est fondée sur une idée fausse, et une attitude de
réfutation de tout ce qui ne rentre pas dans ses critères érigés au rang de
critère religieux absolu, cela l’a conduit à se tromper dans presque tous ses
jugements.
J’ai commencé
par donner l’exemple d’Ibn Tûmart, parce que je me devais de répondre à une
accusation injuste contre un de mes compatriotes berbères du 12ème
siècle.
Remarque :
Il faut
retourner à la butte témoin où nous nous trouvions une année idéale du temps
ayant précédé notre chute, notre sortie de l’histoire. Ce moment, n’est pas
nécessairement historique Il est plus important qu’il soit d’abord psychologique.
L’islam qui a
été pétri par les hommes, interprété, défendu aux prix de leurs vies par des
hommes, des générations d’hommes, n’est pas l’islam initial, celui qui a été
révélé au Prophète qui est islam éternel, immuable, Il est en Dieu. Les hommes
réalisent l’islam dans le temps et le charge
d’une coloration spécifique, au gré des circonstances que les hommes ont
du endurer pour l’appliquer, lui donner une forme temporelle. Cet islam restera
toujours en projet, car il défie toutes
les générations. Il a toujours une idée nouvelle à faire germer dans les
esprits de chaque génération de croyants. L’islam re-constituable
sociologiquement est celui des hommes, celui qui procède d’une interprétation
des hommes. Les textes révélés agissent comme inspirateurs, de sens nouveaux.
Seul en a compris le sens total celui à qui ils ont été révélés. Ils sont la
source éternelle que Dieu a instaurée sur terre.
Lors de la
première tentative d’interprétation qui a commencé après la mort du Prophète (S),
les musulmans ont vite fait de découvrir que des choix très discutables avaient
été pris par certaines personnes qui se trouvaient en charge de leurs affaires.
La déviation devenait vite visible. Beaucoup de gens tournaient déjà le dos au
message premier. Ce qui est chose normale dans l’histoire de toutes les
religions. Ce qui a été visé par la corruption des esprits, ce fut d’abord le
pouvoir politique des musulmans, à savoir la désignation des personnes qui
devaient décider pour l’ensemble des croyants.
Mais la religion
n’est pas que le pouvoir politique. Certaines personnes ont donc tenté de
rétablir un équilibre en créant des forces autour du pouvoir de façon à
neutraliser les effets négatifs des dictatures, car les chefs tournaient
gravement le dos, à partir des omeyyades ;
Le travail
culturel, la littérature, les chroniques historiques, les juristes, les
théologiens, les philosophes, tous ont contribué à créer un contrepoids destiné
à contenir l’insatiable appétit des
gouvernants qui n’avaient de cesse de tenter de museler le peuple, en
détournant le message religieux à leur profit.
Dès le début de
la première tentative d’instauration de la civilisation musulmane, les
musulmans ont rendus perplexes frappés par la façon indécente dont les gouvernants
tentaient de tout contrôler de leur vie religieuse, de ce qui se passe dans
leurs consciences. Le pouvoir des musulmans est rapidement devenu semblable à
n’importe quel autre pouvoir précédent, peut-être pire que le pouvoir des
romains de Byzance. La violence s’explique d’ailleurs par l’enjeu que présentait
l’apparition de l’islam : celui qui parvenait à contrôler l’islam savait
qu’il allait contrôler le monde d’alors. Rien ne pouvait arrêter les ambitions.
L’islam sera bientôt une simple enseigne sous laquelle on servira rien d’autre
que la corruption, la violence, le meurtre.
Mais la
résistance des forces intellectuelles, travaillant dans la terreur, parvenait
quand même à faire avancer certains thèmes et certaines idées dans lesquelles
certains gouvernants ont cru voir aussi leur intérêt à les promouvoir. Petit à
petit, les gouvernants vont découvrir l’intérêt qu’il y avait à se faire les
protecteurs de sciences et des lettres.
Ce fut ce que
l’on a appelé la période formative du savoir islamique.
Plus tard, on
s’apercevra que le savoir des hommes était plus en fin de compte, plus
important que leur pouvoir. Les noms de nos grands hommes à survécu alors que
ceux des sultans ont disparu.
C’est la
revanche de la pensée. Celui qui écrit l’histoire et l’interprète a plus
l’influence que celui qui a combattu sans même s’assurer des conséquences
ultime de ce qui sera sa défaite ou sa victoire. Omnia vincit veritas.
Si nous voulons
renouer avec notre passé, il ne faut pas viser l’instant initial, en tout cas
celui où s’introduit la déviation. Il faut purger notre histoire de toutes ses
séquences négatives, en en démontrant l’inanité. Autrement, nous devrions
refaire tout l’itinéraire suivi par nos ancêtres.
C’est en se
comparant aux grands hommes que l’on devient de grands hommes, pas en suivant
les traces des traitres, des hommes qui ont vaincu par leurs âmes
concupiscentes.
Le bon sens nous
commande de retourner au moment précis où nous avons décroché de la scène
historique, en ayant cette fois le remède qui nous évitera de retomber dans les
mêmes erreurs.
Pour nous autres
les peuples maghrébins amazighs, la butte témoin qui sera le lieu de notre
ralliement, serait la période où nous avons atteint la maturité sous nos deux
grands empires almoravides et almohades, qui ont vu nos peuples récupérer le
pouvoir dont les arabes ont toujours vu les dépouiller.
Renouer avec les
arabes serait la première erreur à éviter de commettre. Pas pour des raisons
basses de racisme, dans lesquelles nous ne tomberons jamais, mais parce que les
Arabes ont leur point de référence qui s’oppose justement au nôtre. Eux
voudraient réaliser leur rêve de nous remettre le joug, de jouer les grands frères
envers nous.
Le retour à leur
salaf que prêchent les Arabes ne nous regarde pas, car il ne vise qu’à leur
redonner le rôle de leader, en vertu duquel nous renierons tous les efforts
consentis par nos ancêtres, notre salaf à nous. Ils ne visent pas à rendre sa
grandeur à l’islam. Ils ne savent pas comment s’y prendre.
Le projet
islamique est devenu un projet mondial, dans lequel toutes les puissances
mondiales voudraient tenir un rôle, les Arabes n’étant pas bien compétents pour
y jouer le rôle déterminant.
Le salafisme est
donc une entourloupe qui révèle finalement sa véritable nature de complot. Sa mission : prendre
de vitesse les musulmans non-arabes, en particulier les Berbères et les
Persans, et les écarter de la direction des affaires musulmanes.
Avec les
Almohades, les berbères sont sortis de leur ‘’minorité’’ au sens kantien. Ils
ont ‘’osé’’ agir pour l’islam en s’inspirant de leurs propres maitres qui ont
surpassé ceux de l’Orient.
Les Arabes ont
un mythe pour histoire. Leur passé n’a consisté qu’en une lutte impitoyable
pour le pouvoir, un pouvoir qui avait été attribué par Dieu à des personnes
bien déterminées. Ils l’ont usurpé, et ont ce faisant commis le pêché du peuple
de Sâlih (s).
C’est la raison
pour laquelle ils ont produit le madhhab le plus stérile, le plus répugnant
qu’est le wahhabisme qui se résume pour le ‘’croyant’’ à obéir aux gouvernants
quelque soit leurs comportements. Une ‘’école’’ qui ne contient que des
interdits et qui ne formule pas grand-chose au sujet de ce qui est permis. Une
école qui interdit la pensée, la réflexion, l’étude de l’histoire, parce qu’ils
savent qu’ils n’y figureront pas en bonne place, et surtout pas en héros.
On comprend
alors la raison inavouée pour laquelle les Arabes voudraient ré-islamiser les
croyants non-Arabes, et non provoquer une révolution sociale parmi les
musulmans dans leur ensemble : ils cherchent à se redonner le rôle du
‘’salaf’’ lui-même, pendant que le berbère jouerait le rôle de brebis égarée
qu’il s’agit de ramener à la foi vraie telle qu’elle est perçue par l’Arabe,
qui lui jouerait le rôle du loup. Comme ses ancêtres. Le salafisme n’a pas
d’autre but.
Autre exemple
de jugement erroné d’Ibn Taymiyya:
Nous donnons un autre exemple de
jugement erroné de la part d’Ibn Taymiyya.
Quand on
l’interroge au sujet de son avis sur les Mongols, il fait preuve de la même
attitude inquisitrice, du même manque de sens historique, comme on vient de le
voir à l’égard d’Ibn Tûmart. Contre tout bon sens, il les qualifie de
non-musulmans même s’ils ont prononcé la shahâda !!!
Ibn Taymiyya est
né à l’époque où les Mongols, conduits par leur chef Hulagu (mort en 1265),
petit-fils de Gengis Khân, prirent Bagdad (février 1258) et la saccagèrent
avant de l’incendier, mettant un point final à l’empire abbasside. Il ne fut
pas témoin de tous les évènements qui précédèrent ou suivirent cela. Pendant
des années et jusqu’à l’époque d’Ibn Taymiyya, les musulmans seront
militairement incapables de vaincre les Mongols, exactement comme la situation
qui est la nôtre face aux Américains qui occupent l’Irak de nos jours. Quelques
années après la mort de Hulagu, les Mongols installés dans un territoire qui
dépasse légèrement le domaine de l’Iran actuel se font musulmans grâce au
travail d’initiation des maitres soufis. Très puissants, les mongoles adhèrent
à l’islam, portent le turban et se mettent au service de notre religion. Il y
avait de quoi pousser une profond et sincère : al-hamdulillâh !
Comme beaucoup
de gouvernants musulmans, ils se permettaient quelques écarts à la loi divine,
surtout quand il s’agissait de mettre fin aux jours de leurs opposants. C’est
d’ailleurs ce que font encore de nos jours les chefs musulmans et sans état
d’âme. Un homme fut outré par cela et demanda une fatwa à Ibn Taymiyya qui se
trouvait tantôt en Egypte tantôt à Damas, loin d’atteinte des Mongoles. Ibn
Taymiyya rédigea alors sa fatwa dans laquelle il se montre un juriste vivant
dans l’irréalité et dans l’abstraction. Pour comprendre, imaginez Ibn al-Bâz,
le mufti saoudien, en train d’appeler les musulmans à s’engager dans une guerre
contre les Américains, à cette différence près que les Mongols s’étaient fait
musulmans de leur propre gré, et alors qu’ils avaient les moyens militaires
pour rester attachés à leurs religions d’origine, le chamanisme et le
bouddhisme. Le cas d’Ibn Taymiyya relève donc de la psychiatrie, comme
d’ailleurs en témoigne Ibn Battûta dans sa Rihla (Voyages)[8].
Ibn Taymiyya répond donc par une condamnation sans
appel des actes des Mongols[9].
Or cette fatwa peut être comprise de plusieurs façons : si les mongoles
qui ont commis les crimes que détaille la question (voir ci-dessous), ne sont
pas des musulmans même s’ils ont prononcé les deux shahâdas, alors on peut se
demander si les Arabes qui ont commis des crimes semblables en Afrique du Nord
au début de leurs conquêtes (futûh al-buldân) étaient des musulmans, car
eux aussi prenaient les femmes et les enfants, massacraient à tour de bras et
pillaient les richesses des peuples conquis qui ne les avaient pas du tout
agressés ?
Pour ma part, je pense que les Mongols étaient
sincères dans leur conversion, mais ils l’étaient de façon inégale, d’un homme
à un autre, comme les Arabes des premiers temps : de mauvais musulmans,
inconséquents avec leur foi. Mais voyons la question posée à Ibn Taymiyya,
traduite du texte en anglais :
« Question[10]:
« Qu’est-ce que les grands savants
jurisconsultes de cette nation (oumma) disent au sujet de ces Tatars
(Mongols) qui sont apparus en l’année
699 de l’hégire (1200) ? Ils ont commis ce à quoi ils doivent leur
renommée : l’assassinat des musulmans, la prise des captifs, femmes et
enfants, et le pillage des musulmans qui tombaient sous leur domination. Ils
ont porté atteinte à l’honneur de la religion en humiliant les musulmans et en
endommageant les mosquées, en particulier Bayt al-Maqdis (la mosquée al-Aqsa à
Jérusalem) et l’ont souillée en y accomplissant des actes répréhensibles. Ils
se sont emparés de la richesse des musulmans et du trésor public (bayt al-mâl)
et ont fait prisonniers un grand nombre d’hommes musulmans et les ont déplacés
loin de leur patrie. Et en dépit de tous ces actes, ils prétendent s’attacher à
la profession de foi de l’islam (shahâda) et soutiennent qu’il est interdit de
s’opposer à eux par les armes, car ils affirment être attachés à l’islam,
suivre ses principes fondamentaux, et que leur extermination des musulmans leur
sera pardonnée. Ainsi, pouvez-vous nous dire s’il est permis de les combattre
ou bien s’il est obligatoire de les combattre? Et quelque soit la réponse, de
quel point de vue (preuves du Coran et de la Sunna) peut-on déduire la
permission de les combattre? Ou bien quelles sont les preuves de la nécessité
de les combattre ?»
Dans sa réponse, comme à l’accoutumée, Ibn
Taymiyya juge dans l’absolu, en faisant
abstraction de l’histoire et des méfaits des Arabes, en ne rappelant pas les
causes qui ont été à l’origine de l’invasion des Mongoles : un émir
musulman Khwârezm Shâh, avait fait assassiner à deux reprises des ambassadeurs
de Gengis Khan. Ibn Taymiyya fait encore une fatwa surréaliste ne tenant pas
compte de l’absurdité de la question : les musulmans étaient vaincus, et
restaient faibles. Ils n’ont pas besoin d’une fatwa pour se lever et combattre
les mongols. Le problème était qu’ils étaient désarmés face à eux. Pas plus
qu’ils ne peuvent combattre les USA de nos jours, ils ne pouvaient s’opposer à
la toute puissance mongole. Les cheikhs saoudiens savent bien qu’une fatwa
anti-américaine serait sans effet.
L’infantilisme d’Ibn Taymiyya consiste en ce
qu’il se comporte en salafiste pour qui tout ce qui s’est passé jusque
là dans la société musulmane, fut parfait et que ce sont les ''Tatars''
(mongols) qui sont des intrus et qui ont gâché la fête. Ibn Taymiyya ne pouvait
pas accepter l’idée de colonisabilité : que la cause du malheur Tatar
puisse se trouver dans les insuffisances des musulmans. Ce qui est le trait d’un
esprit faible qui attribue d’instinct la responsabilité aux autres, attitude
qui est propre à la ‘’pensée’’ du wahhabisme qui ne feint de se réveiller que
lorsqu’il s’agit de condamner les non-musulmans ou les musulmans
non-wahhabites, mais jamais pour dénoncer les propres insuffisances des (chefs
et peuples) musulmans.
Les Mongols ont été la vengeance que Dieu
a prescrite aux Arabes pour le mal qu’ils ont fait subir aux Berbères et aux orientaux
non-arabes. Les Arabes ont payé pour avoir engagé des guerres de conquêtes
interdites par l’islam. Les mongoles leur ont pris leurs femmes et leurs
enfants ainsi que leur or, pour leur rappeler ce qu'ils firent eux-mêmes au
début de leurs ‘’conquêtes’’ en se félicitant et en croyant mériter le paradis
pour cela.
Il faut lire les chroniques arabes des
premières années de l’‘’islamisation’’ du Maghreb pour comprendre parfaitement
ce que je dis. Les Arabes s'étaient comportés exactement comme les mongoles
décrits ci-dessus, voire pire. Sauf que les Mongols étaient venus suite à l’assassinat
des ambassades envoyées à deux reprises par Gengis Khan et pour se venger en
toute justice divine et humaine, alors que les Arabes étaient venus
prétendument pour nous apporter la bonne nouvelle de l’islam. Il faut croire
qu’ils avaient perdu leur foi, en cours de route, …
Non, Ibn Taymiyya, les Mongols se sont bel et
bien convertis, mais tu es jaloux de ce que ce ne sont pas des juristes
délirant comme toi qui les ont guidés, et que ce fut l’œuvre de modestes maîtres
soufis ne portant ni épée ni bouclier, agissant avec leur sincérité pour seule
arme. Les mongoles se sont convertis et ils avaient plus de mérite que tout
autre, parce qu'ils étaient militairement vainqueurs et que rien ne les y
obligeait.
Dieu est juste. Il n’aime pas l’injustice. Il
ne favorise les croyants que lorsqu’ils sont croyants. Il aime toutes Ses
créatures même les Mongoles. Il n’est pas exclusivement le Dieu des Arabes. Et
rappelons que seul le Prophète (SAW) avait le droit de lancer le jihad
offensif.
Le texte de la réponse d’Ibn Taymiyya, que l’on
peut lire sur internet, ne nous apprend rien de nouveau sur une constante de sa
pensée : sa tendance à considérer que les musulmans du salaf
étaient tous des anges auréolés de sainteté. Il suffit de mettre le mots berbères
à la place de musulmans et de remplacer Mongols par Arabes,
pour comprendre qu’en fait la question a été inspirée par Dieu pour rappeler
aux Arabes qu’ils ne recevaient que la monnaie de leur pièce, qu’Il a envoyé
les Mongols comme une illustration vivante leur rappelant leur aventure et leur
comportement inhumain en Afrique du Nord.
Imaginez
maintenant dans quelle gêne se trouverait Ibn Taymiyya si la question lui était
posée aujourd’hui et qu’à la place des Mongoles, la demande de fatwa portait
sur les Américains qui tuent chaque jour des centaines de musulmans.
Abû
al-‘Atâhiya
Ci-après, voici quelques références à
l’appui de mes affirmations.
Regard triste mais nécessaire sur notre
histoire
Un ami m’a dit que Malek Bennabi (Rahimahu
Allah) a porté un jour un jugement sur le livre « Le soleil d’Allah brille
sur l’Occident » (de S. Hunke) qui venait de sortir à la fin des années
1960. Il ne commentait pas le contenu du livre, mais le ‘’moment’’ de sa
parution. C’est un livre où l’ON nous concédait enfin un rôle dans l’histoire.
Ce livre a surement fait du bien à certains, en rappelant les noms des
personnalités de notre histoire. Malheureusement, comme l’a relevé Bennabi, on
nous concédait cela, pour mieux nous endormir sur des lauriers qui… furent ceux
de nos ancêtres. Pour nous infuser, à notre insu, un peu de ce somnifère dans
l’administration duquel ILS excellent. On voulait stopper notre ambition d’un
retour sur la scène de l’Histoire avec un grand H.
Notre histoire ressemble aux histoires
des autres peuples. Elle a beaucoup de titres de gloire et aussi des pages sombres
que l’on aurait aimé ne pas lire, ne pas retrouver gravées dans les chroniques,
tant chacun de nous s’en ressent quelque part responsable, responsable de ne pas
les avoir lues plus tôt, responsable d’avoir cru les mensonges et de les avoir
propagés par ignorance. La grandeur consiste à les assumer, pas à les cacher.
Car si l’islam est appelé à jouer de nouveau un grand rôle sur la scène
mondiale, comme nous le souhaitons et comme nous prions Dieu de nous guider en
cela, c’est ce passé-là que nous devons garder à l’esprit pour ne pas
renouveler les erreurs: instaurer des limites au pouvoir de façon à éviter les
dérives, avec un parlement élu, doté d’un pouvoir réel et pas seulement
consultatif. Garantir les libertés à tous, en particulier à ceux qui ont
quelque chose à dire. « Le pouvoir rend fou ; le pouvoir absolu rend absolument
fou. » Que les leçons de l’histoire nous aident à nous réveiller. L’islam n’a
pas d’autre critère que la science, le savoir (‘ilm). Nous n’avons pas à
nier ou dissimuler les fautes graves ou mineures causées par les actes des
hommes de notre passé, pour la bonne et simple raison que nous continuons
encore à être les victimes ou les témoins visuels (télévisuels souvent) d’actes
similaires de nos gouvernants actuels. On tue injustement encore partout dans
la société musulmane, mais notre idéal de l’islam n’est jamais atteint. Nous
n’incriminons jamais notre religion, car nous savons d’instinct que le mal
vient des hommes, et pas de l’islam. Nous voyons dans les actes illicites
(meurtres collectifs, assassinat sur lettre de cachet, disparition, torture et
autres horreurs) du passé et d’aujourd’hui des déviations de certains hommes
qui sont toujours prêts à agir pour plaire aux gouvernants corrompus qui
résistent aux espoirs du peuple.
Nous n’avons pas à être complices des
gouvernants anciens pas plus que des modernes, en tentant de les justifier par
des pirouettes. Nous ne devons ni nous laisser inhiber par notre passé, ni nous
laisser effrayer par le futur. Je sais qu'à chaque fois qu'une information nous
fait mal, nous la mettons sur le dos de l'Occident. Pourtant, le mal est bien
de nous, cette fois.
L’école d’Ibn Arabî avait armé la
société musulmane pour la rendre plus apte à surmonter les chocs qu'elle allait
affronter, comme le choc mongole. On savait que l’épistémè (l’ensemble des
connaissances que les musulmans tenaient pour vraies) qui prévalait avant le
shaykh al-Akbar allait toucher à sa fin.
Tout savoir humain est intimement lié à
la société et à l’époque qui l’a produit.
L’enseignement d’Ibn Arabî avait
clairement établi la hauteur de la doctrine islamique, l’avait nettement
distingué des actes des musulmans, et dégagé de ses entraves historiques, de
façon à assurer à l’islam un retour sur la scène mondiale, au moment venu.
C’était la fin d’un cycle de civilisation, mais pas celle de l’islam. Comme on
en est témoin aujourd’hui en Occident. Personne ne doute maintenant que
l’Occident a gâché son entreprise, et ne tient plus en main les rênes de son
destin. Il va à la dérive, et voit ses chances de salut s’éloigner chaque jour.
Dans ces conditions, deux choix se présentent devant lui : 1) retourner aux
temps ‘’glorieux’’ où il dominait le monde. Si cela est facile à imaginer, on
sait que c’est chose impossible à réaliser ou bien : 2) Concevoir le moyen
d’une réorganisation de ses restes de façon à rattacher son destin aux forces
naissantes, et demeurer la tête hors de l’eau. Cela demande un pouvoir
politique et spirituel doté d’une grande énergie et d’un esprit pénétrant.
La société musulmane a eu affaire à cette situation. Il y en eut qui comme les maîtres du mouvement de pensée initié par Ibn Arabî, sont restés concentrés sur le sens de la religion et de la foi, tenant la religion « comme on tient une braise dans la main ». D’autres ont préféré tenter l’impossible : œuvrer à stopper la chute de la civilisation. Chacun a eu son mérite. Mais nous avons chuté, en Orient et au Maghreb. Nous avons été vaincus par l’Occident qui était alors dans sa phase ascendante. Il nous a même occupés, et ceux de nos pays qui ont échappé à la colonisation n’ont pas connu un sort meilleur. Les actes seuls sont les critères, pour juger de la valeur des hommes. Les paroles même vraies et justes restent stériles, sans les actions des hommes qui s’en réclament.
La société musulmane a eu affaire à cette situation. Il y en eut qui comme les maîtres du mouvement de pensée initié par Ibn Arabî, sont restés concentrés sur le sens de la religion et de la foi, tenant la religion « comme on tient une braise dans la main ». D’autres ont préféré tenter l’impossible : œuvrer à stopper la chute de la civilisation. Chacun a eu son mérite. Mais nous avons chuté, en Orient et au Maghreb. Nous avons été vaincus par l’Occident qui était alors dans sa phase ascendante. Il nous a même occupés, et ceux de nos pays qui ont échappé à la colonisation n’ont pas connu un sort meilleur. Les actes seuls sont les critères, pour juger de la valeur des hommes. Les paroles même vraies et justes restent stériles, sans les actions des hommes qui s’en réclament.
Mais la puissance intrinsèque de l'islam
demeure invariable: ce qui a fait dire à un occidental converti: ''Merci à Dieu
de m’avoir fait connaître l’islam avant les musulmans!'' En dépit de notre
décadence, l’islam ne cesse pas de progresser!
Exemples non-exhaustifs de cas extrêmes
de notre histoire :
1.
Al-Baladhurî :
« The Berbers of Luwâta (peut-être
laghwâta), لواته. Abû 'Ubayd
al-Kâsim ibn Sallâm from Yazîd Ibn abî Habîb: – ‘Amr ibn al-‘Âsi made this a
condition on the Berbers inhabitants of Luwâtah at Barkah. "
Ye have to sell your children and wives in order to pay the poll-tax on
you." Commenting on this, al-Laith said, "If they were slaves, that
would not be a legal thing for them to do."
Bakr
ibn-al-Haitham from Yazid ibn-abi-Habib : — 'Umar ibn-'Abd-al-'Aziz wrote
regarding the Luwatah women, " Whoever has a Luwâtah woman, let him either
be engaged to her through her father, or return her to her people;”
Les Berbères de Luwâta. Abû 'Ubayd al-Kâsim ibn Sallâm rapporte de Yazîd Ibn abî Habîb qui a dit que: – ‘Amr ibn al-‘Âsi a imposé cette condition aux habitants berbères de Luwâta à Barka (en Lybie actuelle) : « Vous devez vendre vos enfants et vos femmes afin de payer l’impôt de capitation sur vos personnes.» Commentant ce point, al-Layt ibn Sa'd a dit : « (même) s’ils étaient des esclaves, ce ne serait pas une chose légale de le faire. »
Les Berbères de Luwâta. Abû 'Ubayd al-Kâsim ibn Sallâm rapporte de Yazîd Ibn abî Habîb qui a dit que: – ‘Amr ibn al-‘Âsi a imposé cette condition aux habitants berbères de Luwâta à Barka (en Lybie actuelle) : « Vous devez vendre vos enfants et vos femmes afin de payer l’impôt de capitation sur vos personnes.» Commentant ce point, al-Layt ibn Sa'd a dit : « (même) s’ils étaient des esclaves, ce ne serait pas une chose légale de le faire. »
[Le scandale n’a pas pu être étouffé.
Parce que l’affaire finira par parvenir aux oreilles du calife omeyyade Umar
ibn Abd al-‘Aziz (mort en 720)] :
Bakr ibn-al-Haitham a rapporté de Yazid
ibn-abi-Habib que : — 'Umar ibn-'Abd-al-'Aziz a donné son ordre par écrit, au
sujet des femmes de la tribu de Luwâtah : « Quiconque parmi les musulmans
possède une femme de Luwâtha qu’il l’épouse légalement en faisant la demande
auprès de son père, ou qu’il la rende à son peuple. »
Mais des années plus tard, le roi
omeyyade Hishâm ibn al-'Abd al-Malik reprendra cette pratique contraire aux
mœurs islamiques avec un mépris total des hommes (istikhfâf al-qawm).
Imaginez le drame de ces hommes à qui on
a enlevé les épouses et les filles, et aux droits de qui la justice des rois s’oppose
dans l’indifférence totale. Lisez plutôt:
2.
Ibn al-Athîr :
Du temps où on espérait encore trouver l’oreille
du bon roi.
« ...L’Ifrîkiyya resta ensuite le
pays le plus soumis et le plus obéissant jusqu’à l’époque de Hichâm ben ‘Abd
el-Melik, où [P. 72] des gens de l’Irak s’étant glissés dans le pays vinrent
exciter les habitants et soulever des discussions qui durent encore.[20]
Ceux-ci répondaient ne pas vouloir s’insurger contre les imâms à cause des
sommes prélevées par ceux qui les représentaient ; et comme les nouveau-venus
disaient que les seconds se bornaient à agir d’après les instructions des
premiers : « encore faut-il, répondirent-ils, que nous en informions le
khalife ! » En conséquence Meysara et une vingtaine de messagers avec lui
furent dépêchés à Hichâm, de qui ils ne purent obtenir d’audience ; ils
allèrent alors trouver El-Abrech et lui dirent : « Informe le Prince des
croyants que notre émir nous mène en expédition avec son armée (djond) et qu’il
distribue à celui-ci le butin que nous avons fait, disant que cela vaut mieux
pour la guerre qu’il entreprend ; s’il y a une ville à assiéger, c’est nous qu’il
met au premier rang et le djond au dernier, disant que notre mérite au ciel
sera plus grand. Et pourtant des gens comme nous valent bien ses frères! Ensuite
nos oppresseurs se sont mis à fouiller les ventres de nos brebis pour en
extraire des fœtus dont la blanche toison est destinée à fournir des pelisses
au Prince des croyants, de sorte que mille brebis périssent pour donner une
seule toison. Tout cela, nous l’avons supporté; mais quand ensuite ils ont
enlevé les plus belles de nos filles, nous leur avons dit que, bien qu’étant
musulmans, nous ne trouvions pareil fait autorisé par aucun écrit (verset
coranique) ni aucune pratique traditionnelle (sunna). Nous voulons savoir si
cette conduite a ou non l’approbation du Prince des croyants ! » Comme leur
séjour en se prolongeant épuisait leurs ressources, ils remirent leurs noms par
écrit aux ministres du prince, en les priant, s’il demandait des renseignements,
de le mettre au courant.
De là, ils regagnèrent l’Ifrîkiyya, où
ils attaquèrent et tuèrent le gouverneur nommé par Hichâm, puis se rendirent
maîtres de ce pays. Quand Hichâm, informé de ces évènements demanda les noms de
ceux qui étaient venus le trouver, il se trouva que ceux-là mêmes étaient les
coupables. »
3.
Ibn Khaldûn :
La version d’Ibn Khaldûn au sujet du roi
berbère musulman de la tribu des Iksilan (appelé Koceila par les auteurs de
langue arabe)
« …En l’an 62 (681-2), sous le khalifat
de Yazid, Oqba vint prendre, pour la seconde fois, le commandement de
l’Ifrikiya. A peine arrivé, il témoigna une grande antipathie pour Koceila à
cause de l’amitié que ce chef portait à abou al-Muhâjer (le chef que ‘Oqba
remplaçait). Celui-ci essaya, mais inutilement, d’obtenir pour son protégé la
bienveillance du nouveau gouverneur. ‘Oqba se mit alors en marche pour le
Maghreb, précédé d’une avant-garde sous les ordres de Zoheir Ibn Qays
el-Baloui. Dans cette expédition, il défit les princes berbères qui, soutenus
par les Francs (Romains), lui avaient livré bataille dans le Zab et à Tèhert.
Après avoir abandonné au pillage les biens des vaincus, il reçut la soumission
de Yulian (le comte Julien), émir (du pays) des Ghomara, qui s’était présenté
devant lui avec un riche cadeau. Yulian lui indiqua les endroits faibles du
pays occupé par les Berbères et le dirigea vers la région qui s’étend depuis
Oulili (Volubilis) jusqu’au Sous, ainsi que vers les contrées encore plus
éloignées où les peuples porteurs de voile s’adonnaient à la vie nomade. Après
y avoir fait beaucoup de butin et de prisonniers, Oqba poussa jusqu’au bord de
la mer et revint ensuite toujours victorieux. Pendant cette expédition, il ne
cessa de témoigner un profond mépris pour Koceila qu’il retenait prisonnier
auprès de lui, et, un jour, il lui ordonna d’écorcher un mouton devant lui.
Koceila voulut confier cette tâche dégradante à un de ces domestiques, mais
forcé par Oqba de s’en charger lui-même, et vivement blessé par les paroles
insultantes de ce chef, il se leva en colère et commença l’opération. Chaque
fois qu’il retirait sa main du corps de l’animal, il la passa sur sa barbe et,
interrogé par les Arabes au sujet de ce geste, il répondit : « Cela fait du
bien aux poils. » Un de leurs vieillards, qui entendit ces paroles, les avertit
que c’était une menace de la part du Berbère. Abou-‘l-Mohajer ayant su ce qui
venait de se passer, pria Oqba de laisser le prisonnier tranquille : « Le
Prophète de Dieu, ajouta-t-il, chercha à se concilier les puissants d’entre les
Arabes, tandis que toi, tu prends plaisir à indisposer le cœur d’un homme qui
tient un haut rang parmi son peuple et qui se trouve actuellement sur les lieux
où il déployait naguère une grande autorité, à l’époque où il était infidèle.
Je te conseille maintenant de t’assurer de sa personne et d’être en garde
contre lui. » Oqba ne fit aucune attention à ce discours et, parvenu à Tobna,
il renvoya ses troupes, par détachements, à Kairouan ; tant il croyait avoir
effectué la conquête du pays et la soumission des berbères. Resté à la tête
d’un petit corps de guerriers, il se mit en marche pour Tehouda, ou pour Badis,
afin d’y établir une garnison. Les Francs s’aperçurent de son imprudence et
formèrent le projet de le surprendre. Koceila apprit leur intention par un
message qu’ils lui firent parvenir, et il profita d’une occasion favorable pour
en faire avertir ses parents et leurs alliés berbères… »
Oqba qui fut un guerrier et qui trouva
la mort au combat, sera vengé par ses enfants qui ont été autorisés par leur
chef Mûsà ibn Nusayr, à tuer 600 innocents berbères désarmés ; Ibn Nusayr
voulait sans doute faire plaisir à ses chefs de Damas. Il n’y a pas de talion
au sujet des morts à la guerre, et quand bien même il y en aurait, la loi
divine ne prescrit qu’une vie pour une vie. Le crime est d’autant plus grave et
contraire à la Loi que les 600 berbères ont été choisis au hasard.
4.
Ibn ‘Adhârî al-Marrâkushi :
Un exemple de hamiyyat al-jâhiliyya.
« D’après Ibn Qotayba, Mûsa ibn Nosayr,
après avoir pris Sedjouma et mis à mort les princes de cette ville, accorda à
Iyâd, ‘Othmân et abû Sa’d, – les trois
fils de Oqba, – le droit de tirer vengeance du meurtre de leur père, et ne les
arrêta qu’après qu’ils eurent mis à mort six cents des principaux hommes
de la ville. Cela eut lieu en l’an 83 (3 février 702), au dire de ceux qui font
commencer son administration en cette année. ». On saura en poursuivant la
lecture quel destin honteux Dieu réserva à Musâ ibn Nosayr: lui-même et sa
descendance ont été torturés et éliminés par ceux-là même qu'il servit
indignement.
5.
al-Nuwayrî :
Okba vint ensuite camper près de Tanger, et un grec
nommé Julien[40] qui tenait un haut rang dans son peuple, vint à sa rencontre,
et eut l’adresse de se le concilier en lui offrant de beaux cadeaux et en se
mettant entièrement à ses ordres. Okba le questionna relativement à la mer d’Espagne,
et ayant appris qu’elle était bien gardée, il lui dit : Dirige-moi où je puisse
trouver des hommes parmi les Grecs (Romains) et les Berbères. — Quant aux Grecs,
répondit Julien, tu les as laissés derrière toi ; mais devant toi sont les
Berbères et leurs cavaliers ; Dieu seul en sait le nombre. — Où se
tiennent-ils? demanda Okba. – Dans es-Sous el-Adna, répondit l’autre ; c’est un
peuple sans religion ; ils mangent des charognes, ils boivent le sang de leurs
bestiaux, et ils sont comme des brutes, car ils ne croient pas en Dieu, et ils
ne Le connaissent même pas. Sur cela, Okba dit à ses camarades : Marchons avec
la bénédiction de Dieu ! De Tanger il se dirigea du côté du midi, vers es-Sous
el-Adna, et il vint jusqu'à une ville nommée Taroudant. Là il rencontra les
premières troupes berbères, et il en fit un grand carnage : le reste prit la
fuite, et sa cavalerie se détacha à leur poursuite et pénétra dans es-Sous
el-Adna. Les Berbères se réunirent alors en nombre si grand que Dieu seul
pouvait les compter ; mais Okba les attaqua avec un acharnement inouï. Il en
fit un grand massacre, et s’empara de quelques-unes de leurs femmes, lesquelles
étaient (d'une beauté) sans pareille : on rapporte qu’une de leurs jeunes
filles, qui avait été amenée en Orient, fut estimée à environ mille pièces d’or
(mithkal). »
Enfin, lorsque les Abbassides renversèrent
les Omeyyades, le gouvernement de l’Ifrîqiya fut confié à Abderrahmân ibn
Habib, qui était déjà l’agent omeyyade, et à cause de l’adhésion adressée par
lui à abû al-Abbâs sitôt qu’il avait appris l’intronisation de ce dernier. Le ‘’calife’’
Abû al-'Abbâs (al-Saffâh) le confirme à son poste et lui envoie une liste de
cadeaux qu’il attend de lui, parmi lesquels figurent... des femmes (il avait
sûrement eu vent de la réputation de beauté des femmes berbères par des
indiscrétions en provenance de la cour omeyyade). Ibn Habîb écrit au nouveau
sultan que l’Ifrîqiya était déjà entièrement acquise à l’islam et que l’on ne
prélevait plus d’esclaves (prétexte employé pour justifier leur enlèvement).
Cela mit en colère l’Abbasside... Incorrigibles hommes du pouvoir! Ibn Habîb
trouva ce prétexte pour proclamer publiquement à la mosquée la rupture de son
allégeance à l’égard de Bagdad.
Al-Baladhuri :
عن يزيد بن أبي حبيب قال: كان عثمان عزل عمرو بن العاص عن مصر وجعل عليها عبد الله بن سعد. فلما نزلت الروم الإسكندرية سأل أهل مصر عثمان أن يقر عمراً حتى يفرغ من قتال الروم، لأن له معرفة بالحرب وهيبة في أنفس العدو. ففعل، حتى هزمهم. فأراد عثمان أن يجعل عمراً على الحرب وعبد الله على الخراج. فأبى ذلك عمرو وقال: أنا كماسك قرني البقرة والأمير يحلبها. فولى عثمان ابن سعد مصر. ثم أقامت الحبش من البيما بعد فتح مصر يقاتلون سبع سنين ما يقدر عليهم لما يفجرون من المياه في الغياض..
قال عبد الله بن وهب: وأخبرني الليث بن سعد عن موسى بن علي عن أبيه أن عمراً فتح الإسكندرية الفتح الآخر عنوة في خلافة عثمان بعد وفاة عمر رحمه الله.
فتح برقة وزويلة
حدثني محمد بن سعد عن الواقدي عن شرحبيل بن أبي عون، عن عبد الله بن هبيرة قال: لما فتح عمرو بن العاص الإسكندرية سار في جنده يريد المغرب، حتى قدم برقة، وهي مدينة أنطابلس. فصالح أهلها على الجزية وهي ثلاثة عشر ألف دينار يبيعون فيها من أبنائهم من أحبوا بيعه.
حدثني بكر بن الهيثم قال: حدثنا عبد الله بن صالح عن سهيل بن عقيل، عن عبد الله بن هبيرة قال: صالح عمرو بن العاص أهل أنطابلس ومدينتها برقة، وهي بين مصر وإفريقية، بعد أن حاصرهم وقاتلهم على الجزية، على أن يبيعوا من أبنائهم من أرادوا في جزيتهم. وكتب لهم بذلك كتابا..
حدثني محمد بن سعيد عن الواقدي عن مسلمة بن سعيد، عن إسحاق بن عبد الله بن أبي فروة قال: كان أهل برقة يبعثون بخراجهم إلى والي مصر من غير أن يأتيهم حاثٌ أو مستحثٌ. فكانوا أخصب قوم بالمغرب، ولم يدخلها فتنة.
عن يزيد بن أبي حبيب قال: كان عثمان عزل عمرو بن العاص عن مصر وجعل عليها عبد الله بن سعد. فلما نزلت الروم الإسكندرية سأل أهل مصر عثمان أن يقر عمراً حتى يفرغ من قتال الروم، لأن له معرفة بالحرب وهيبة في أنفس العدو. ففعل، حتى هزمهم. فأراد عثمان أن يجعل عمراً على الحرب وعبد الله على الخراج. فأبى ذلك عمرو وقال: أنا كماسك قرني البقرة والأمير يحلبها. فولى عثمان ابن سعد مصر. ثم أقامت الحبش من البيما بعد فتح مصر يقاتلون سبع سنين ما يقدر عليهم لما يفجرون من المياه في الغياض..
قال عبد الله بن وهب: وأخبرني الليث بن سعد عن موسى بن علي عن أبيه أن عمراً فتح الإسكندرية الفتح الآخر عنوة في خلافة عثمان بعد وفاة عمر رحمه الله.
فتح برقة وزويلة
حدثني محمد بن سعد عن الواقدي عن شرحبيل بن أبي عون، عن عبد الله بن هبيرة قال: لما فتح عمرو بن العاص الإسكندرية سار في جنده يريد المغرب، حتى قدم برقة، وهي مدينة أنطابلس. فصالح أهلها على الجزية وهي ثلاثة عشر ألف دينار يبيعون فيها من أبنائهم من أحبوا بيعه.
حدثني بكر بن الهيثم قال: حدثنا عبد الله بن صالح عن سهيل بن عقيل، عن عبد الله بن هبيرة قال: صالح عمرو بن العاص أهل أنطابلس ومدينتها برقة، وهي بين مصر وإفريقية، بعد أن حاصرهم وقاتلهم على الجزية، على أن يبيعوا من أبنائهم من أرادوا في جزيتهم. وكتب لهم بذلك كتابا..
حدثني محمد بن سعيد عن الواقدي عن مسلمة بن سعيد، عن إسحاق بن عبد الله بن أبي فروة قال: كان أهل برقة يبعثون بخراجهم إلى والي مصر من غير أن يأتيهم حاثٌ أو مستحثٌ. فكانوا أخصب قوم بالمغرب، ولم يدخلها فتنة.
قال
الواقدي: وكان عبد
الله بن عمرو بن
العاص يقول: لولا مالي بالحجاز لنزلت برقة فما أعلم منزلاً أسلم ولا أعزل منها.
وحدثني بكر بن الهيثم قال:
حدثنا عبد الله بن
صالح، عن معاوية بن
صالح قال: كتب عمرو بن العاص إلى عمر
بن الخطاب رضي الله عنه يعلمه أنه قد
ولى عقبة بن نافع الفهري المغرب فبلغ زويلة، وأن من
بين زويلة وبرقة سلم
كلهم حسنة طاعتهم، قد
أدى مسلمهم الصدقة وأقر معاهدهم بالجزية، وأنه قد وضع على أهل
زويلة ومن بينه وبينها ما رأى أنهم يطيقونه. وأمر عماله جميعاً أن
يأخذوا الصدقة من
الأغنياء فيردوها في
الفقراء، ويأخذوا الجزية من الذمة فتحمل إليه بمصر، وأن يؤخذ من
أرض المسلمين العشر .ونصف العشر، ومن أهل
الصلح صلحهم
وحدثني بكر بن الهيثم قال:
سألت عبد الله بن
صالح عن البربر فقال: هم يزعمون أنهم ولد
بر بن قيس، وما
جعل اله لقيس ولداً يقال له بر، وإنما هم من الجبارين الذين قاتلهم داود عليه السلام. وكان منازلهم على أيادي الدهر فلسطين، وهم أهل، عمود فأتوا المغرب فتناسلوا به
حدثنا أبو عبيد القاسم بن
سلام قال: حدثنا عب
الله بن صالح عن
الليث ابن سعد، عن
يزيد بن أبي حبيب أن عمرو بن العاص كتب في شرطه على
أهل لواتة من البربر من أهل برقة: إن
عليكم أن تبيعوا أبناءكم ونساءكم فيما عليكم من الجزية
قال
الليث: فلو كانوا عبيداً ما حل ذلك منهم.
وحدثني بكر بن الهيثم قال:
حدثنا عبد الله بن
صالح عن ابن لهيعة، عن يزيد بن أبي
حبيب أن عمر بن
عبد العزيز كتب في
اللواتيات أن من
كانت عنه لواتية فليخطبها إلى أبيها فليرددها إلى
أهلها. قال: ولواتة قرية من البربر كان لهم
عهد.
Traitement barbare réservé au corps de
Muhammad ibn abi Bakr al-Siddîq (RA) :
وقال الواقدي: ولم يزل
عبد الله بن سعد
والياً حتى غلب
محمد بن أبي حذيفة على مصر، وهو كان
أتغلها على عثمان، ثم إن علياً رضي
الله عنه ولى قيس
بن سعد بن عبادة الأنصاري مصر، ثم
عزله واستعمل عليها محمد بن أبي بكر الصديق، ثم عزله
وولى مالكاً الشتر، فاعتل بالقلزم. ثم ولى محمد بن أبي بكر ثانيةً ورده عليها. فقتله معاوية بن حديج وأحرقه في جوف حمار..
وولى مالكاً الشتر، فاعتل بالقلزم. ثم ولى محمد بن أبي بكر ثانيةً ورده عليها. فقتله معاوية بن حديج وأحرقه في جوف حمار..
Abû al-‘Atâhiya
(Je n’ai pas eu le temps d’ajouter la citation de Maysara
ibn al-Athir, en arabe)
[1] Signe des temps ! Il y a quelques voix très rares pour le moment qui
commencent à se faire entendre avec une compétence certaine et méritant
respect. Nous ne pouvons que souhaiter un accroissement en nombre et en qualité
de ces voix, car bien entendu, un musulman ne peut que souhaiter le bien à
d’autres musulmans et à tout
le genre humain, d’ailleurs.
[2] On retrouve chez ses épigones wahhabites cette
tendance à critiquer et rejeter toutes les théories mêmes celles qu’ils ne
comprennent pas, comme le cheikh al-Bâz qui réfuta la rotondité de la terre,
comme s’il s’était agi d’une question relevant du droit ! En attendant
peut-être de rejeter par une fatwa, la théorie des quanta ou la théorie des
cordes. Un mufti saoudien a récemment rejeté la casquette à visière comme
contraire à l’islam parce qu’elle empêche de voir, alors qu’elle a été
justement conçue pour protéger les yeux du soleil.
[3] En me relisant, je m’aperçois que je dois préciser que depuis que j’ai
écrit cet article, j’ai eu le bonheur de trouver un shaykh saoudien très
compétent. Il recommande une autocritique du mazhab, et préconise entre autres
de parler de sâlihûn min al-salaf (les hommes de bonne volonté parmi les
anciens) au lieu du salaf al-sâlih (les anciens qui étaient tous de
bonne volonté). Distinction essentielle. Cette restriction du sens du salaf
inaugure une orientation nouvelle dans la pensée salafiste.
[4] Voir Laoust, Henri, texte arabe et traduction française d’« Une
fetwâ d'Ibn Taimiya sur Ibn Tumart », publié dans le Bulletin de
l’Institut Français d’Archéologie Orientale (BIFAO), numéro 59, 1960, pp. 157 à
184.
[5] « Ibn Taymiyya, à la charnière des XIIIe et XIVe
siècles, avait cru bon de consacrer une étude critique à l’œuvre théologique
d’Averroès. Ce docteur du fondamentalisme était un homme d’une pauvreté
intellectuelle préoccupante puisque tout se ramenait, pour lui, à l’exigence de
suivre le texte transmis par le Prophète et ses propres exemples… »
(Urvoy, Dominique, AVERROES, Les ambitions d’un intellectuel musulman,
Flammarion, 1998, page 214.)
[6] J’insère ici, deux ans après la publication de cet article, un témoignage
émouvant d’Ibn Khaldûn que j’ai trouvé en relisant la Muqaddima. Ce savant
maghrébin fut d’une rigueur scientifique remarquable. Dans l’introduction à sa Muqaddima,
il commence par exposer sa méthode et son épistémologie. Entre autres exemples
des égarements des historiens, Ibn Khaldûn expose le cas de certains jugements
infondés portés sur Ibn Tûmart. Il nous révèle l’origine véritable de ces
diffamations, dans des passages puissants où il démontre combien Ibn Tûmart se
trouvait bien hors d’atteinte de ces commérages de ‘’faibles juristes’’. Il
écrit : «Mais au fond de leurs cœurs, c’est l’envie qui a poussé ses
détracteurs. Ils s’illusionnaient en croyant pouvoir rivaliser avec lui sur le
terrain de la science, du droit et de la religion. Or, il les surpassa, son
point de vue l’emporta et il se fit des partisans. Jaloux de son succès, ces juristes
tentèrent de saper son influence en critiquant sa doctrine et en attaquant ses
prétentions…» (Traduction de V. Monteil, page 39). Ce sont les échos des
diffamations de ces juristes vendus aux gouvernants de l’époque qui sont
semble-t-il parvenus aux oreilles d’Ibn Taymiyya qui y ajouta foi naïvement
sans enquêter sérieusement, comme le recommande le Coran. Ainsi après Ibn
Battûta qui porta un jugement négatif sur Ibn Tamyiyya, Ibn Khaldûn fut le
deuxième maghrébin à désavouer indirectement le modèle de l’intégrisme.
[7] C’est sur ordre du sultan almohade abû Yûsuf Ya‘qûb al-Mansûr (qui régna de 1184 à 1199), qu’Ibn Rochd
accomplit son œuvre critique d’Aristote qui lui valut la renommée en
Occident.
[8] L’ouvrage d’Ibn Battûta existe en traduction française. Arrivé à Damas, Ibn
Battûta entend mentionner le nom d’Ibn Taymiyya, et précise que les gens
disaient de lui qu’il était atteint de dérangement mental (wa kâna bihi
khalal).
[9] Les Mongols ont dominé l’Orient musulman au 7ème/ 13ème
siècle, et ont notamment pris en 1256, Bagdad dont ils massacrèrent les
habitants et qu’ils incendièrent. Ce fut une catastrophe inimaginable pour les
musulmans, pire que le ne fut le 11 septembre pour les USA. Ibn Taymiyya
n’était pas encore né. Il est mort vers 1330. Entretemps, les Mongols étaient
devenus musulmans de leur propre gré, alors qu’ils avaient la puissance
militaire de leur côté.
[10] Fatwas d’Ibn Taymiyya, volume 28, page 576. Le lecteur qui le souhaite
pourra lire la réponse détaillée d’Ibn Taymiyya sur internet. On peut en
trouver la traduction anglaise sur ce site : http://ia700502.us.archive.org/17/items/WhyTheTatarsAreKaafirs/tatar1.pdf